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vais m’en retourner chez Antoinette, car le diable m’emporte si je sais comment je suis ici !… Mais, n’importe… In vino veritas !… Mes parents… vous êtes des avares… vous avez des quinze… des seize cent mille francs de fortune… Ah ! ah ! ça vous étonne que je sache cela… et vous ne rougissez pas de me donner… comme à un chien… — et Maurice larmoya, — oui, de me donner… comme à un pauvre chien… cent mauvais francs à ronger par mois !… Il faut… que ça finisse… Je veux au moins mille francs… deux mille, trois mille francs par mois… sinon… bonsoir… cherchez… un autre fils… Et, en attendant… j’emprunterai de quoi m’amuser… Je ne veux plus vivre sans ma maîtresse, des chevaux, l’Opéra, le club, le lansquenet, les soupers, les courses de Chantilly, où on met le feu aux maisons ; les rats, les tigres, les carabines ; enfin, tout ce qui rend la vie délicieuse… Oui… j’emprunterai de l’argent… je sais bien à qui… Vous croyez que je vais vous le dire ? Ah bien, oui !… pas si bête…

— Mon Dieu ! il est peut-être déjà tombé entre les mains des usuriers ! — reprit madame Dumirail à demi-voix ; s’adressant à son mari : — Laissons-le parler… peut-être apprendrons-nous quelque chose…

En effet, Maurice reprenait en hochant la tête et d’un ton mystérieux :

— Ah bien, oui !… j’irais vous dire que… mons… monsieur… comment s’appelle-t-il donc ?… enfin, n’importe, un brave homme qui rend service aux fils de famille… en leur prêtant… beaucoup de billets de mille francs…

— Écoutons !… — dit tout bas madame Dumirail à son mari. — Hélas ! qu’allons-nous apprendre ?…

— S’il m’a prêté vingt mille francs, ce respectable… monsieur… monsieur… tiens… j’ai oublié son nom… c’est égal… j’ai l’argent… — poursuivit Maurice avec un accent de satisfaction intérieure, comme s’il se parlait à lui-même. — Et, puisqu’il m’a prêté vingt mille francs… il m’en prêtera bien encore vingt mille, et quarante mille… et cent mille… et deux cent mille… et tant que j’en voudrai… pour mener grand train comme les autres du club… puisque je le payerai… ce juif… oui, je le payerai, quand mes parents… aussi riches… qu’est-ce que je dis ? aussi millionnaires… qu’ils sont avares… seront… seront… morts ! Eh ! eh ! ma foi ! chacun son tour… tant pis ! Et, comme on le racontait ce soir à souper, le père qui vous dit : « Je vivrai cent ans, » vous dit là quelque chose de très-désagréable…

Ces derniers mots, accompagnés d’un ricanement hébété, na-