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l’esprit de contradiction assez généralement particulier aux ivrognes. — Je ne veux pas me coucher… moi…

— Obéissez à votre mère !

— Non !… je ne suis plus un enfant, et vous ne me ferez pas marcher comme un bambin… entendez-vous ?

— Maurice, — reprit madame Dumirail d’une voix moins sévère, espérant décider son fils à la suivre, — venez… Il faut vous coucher… il est tard !

— Laissez-moi tranquille, vous !… je me coucherai quand je voudrai !

— Insolent ! oser ainsi parler à votre mère !

— Ma mère ! — répondit Maurice en hochant la tête et d’un ton de récrimination chagrine, — ma mère… Ah bien, oui ! elle me gronde toujours… elle me refuse le nécessaire… elle me fait faire des avanies indignes par les marchands… C’est agréable, une mère comme ça !

— Est-il Dieu possible ! un si bon fils ! lui qui aurait baisé les pas où marchait sa mère ! Ah ! maudit Paris ! maudit Paris ! Les chouettes avaient raison de nous pronostiquer des malheurs ! — pensait Josette les yeux pleins de larmes et immobile dans un coin obscur de l’antichambre, tandis que M. Dumirail, s’adressant à Maurice d’une voix menaçante :

— Encore une fois, taisez-vous, malheureux, et retirez-vous !

— Non !… Et, puisque nous y voilà, il faut nous expliquer… une fois pour toutes… — reprit obstinément Maurice, — sinon… cherchez un autre fils… je ne suis plus le vôtre… Vous êtes trop pingres, merci !

— Je vous en conjure, Maurice, — reprit madame Dumirail, — retirez-vous…

— Vous m’ennuyez, à la fin ! — s’écria Maurice avec colère ; — je ne veux pas me coucher… Il faut nous expliquer !

— Ah ! c’en est trop ! — reprit M. Dumirail, ne pouvant contenir son indignation et faisant vers Maurice un pas d’un air menaçant.

Mais madame Dumirail, frémissant à la pensée d’une collision entre son fils et son mari, saisit celui-ci vivement par le bras et s’écria d’un ton suppliant :

— Mon ami, ce malheureux enfant ne peut exciter ta colère… il ne sait ce qu’il fait ni ce qu’il dit.

— Erreur !… In vino veritas ! — reprit Maurice avec un sourire moitié sournois, moitié hébété. — Je sais bien ce que je dis, moi !… Je suis soûl, mais j’ai ma tête… La preuve, c’est que je