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rieux de ce que tu appelles les amourettes, les bonnes fortunes de Maurice ; mais, mon Dieu ! tu oublies donc que sa conduite envers Jeane a été d’une criante injustice, a été un parjure à la foi promise !

— Un parjure ?

— Je suis loin d’être partiale pour Jeane ; mais je serai toujours équitable envers elle. Maurice lui était fiancé ; ils avaient échangé leurs serments, le mariage était convenu. Notre nièce n’a en quoi que ce soit mérité la désaffection qu’il lui a témoignée ; il a été cruel, et, il faut bien l’avouer, son injurieux abandon est inexcusable, c’est une mauvaise action.

— Encore de l’exagération, ma chère Julie… On voit tous les jours des fiançailles se rompre ; elles n’engagent que conditionnellement. Et puis, enfin, ce qui est fait est fait. Je suis enchanté que ce mariage n’ait pas lieu, maintenant que nous pouvons, selon ses mérites, apprécier mademoiselle Jeane. Elle va sans doute aller colporter ses médisances, ses calomnies, ses récriminations chez ma sœur ; et celle-ci de triompher, de jubiler en apprenant que notre fils a déjà fait, ainsi que tu as eu la naïveté d’en convenir, des sottises à Paris, tandis que notre neveu Albert, ce phénix, ce trésor incomparable, est un modèle de sagesse, d’ordre, d’économie et de bonne conduite !

M. Dumirail, en reprochant à sa femme la naïveté de ses aveux à l’endroit des sottises de Maurice, dévoilait clairement le fond de sa pensée, toujours dominée par l’envie et la jalousie que lui inspirait son neveu. Madame Dumirail, de plus en plus effrayée des conséquences de tant d’aberration, reprit d’une voix altérée :

— Mon ami, au risque de te fâcher peut-être, je serai sincère, car la circonstance est grave.

— Que veux-tu dire ?…

— J’ai tout lieu de croire que, aveuglé par ton amour-propre paternel, tu te fais complétement illusion sur ce qu’il y a de blâmable pour le présent et d’alarmant pour l’avenir dans les désordres de notre fils.

— Je blâme ce qui est blâmable, j’excuse ce qui est excusable, — répondit M. Dumirail avec impatience ; — je juge les choses à un point de vue réel et non chimérique.

— Tu parles de réalité, mon ami. Quelle heure est-il ?

— Une heure du matin

— Oui… La nuit s’avance, et cependant notre fils n’est pas rentré ! Il a hier encore découché ; ce sont là des réalités, des