accordés à sa profession de foi de viveur, dit à M. d’Otremont, qui seul restait soucieux et froid :
— Excusez-moi de troubler encore vos méditations philosophiques sur les limites de la patience humaine, cher monsieur d’Otremont ; mais, en vérité, votre silence commence à m’inquiéter. Vous, l’un des plus brillants soupeurs que je connaisse, vous êtes, ce soir, incroyablement terne ; jamais amphitryon n’eut l’air plus piteux.
Puis, se tournant vers Maurice :
— N’est-ce pas, cher, qu’il n’est pas amusant du tout, ce pauvre d’Otremont ?
— Ma foi, madame, tout ce que je sais, c’est que le souper que nous donne M. d’Otremont est charmant ; aussi, je plains doublement notre ami s’il ne s’amuse pas, — répondit cordialement Maurice.
Quoiqu’il sentît déjà son cerveau, non plus seulement excité, mais troublé par les fumées du vin que lui avait fréquemment versé Antoinette, il prit sa coupe de cristal qu’elle venait de remplir, non plus de vin de Champagne, mais de vieux vin de Porto, très-capiteux, et dit en se levant :
— Messieurs, je bois à la gaieté renaissante de notre aimable amphitryon !
Une approbation unanime suivit les dernières paroles de Maurice, qui, déjà fort animé, vida d’un trait son verre, sans s’apercevoir de ce qu’il buvait. Richard, poussé à bout par le dernier sarcasme d’Antoinette, et trouvant inopportun le compatissant toast de Maurice, reprit d’un ton sardonique :
— Je remercie M. Dumirail de ses vœux pour la renaissance de ma gaieté… Il est mieux que personne à même de la réveiller, car il pourrait prêter à rire aux plus moroses…
— Mais, mon cher, — reprit Antoinette s’adressant à Maurice, — c’est de la dernière insolence, ce qu’il vous dit là, M. d’Otremont !
— Une insolence ?… — s’écria Maurice devenant pourpre d’émotion, quoiqu’il ne sût encore si madame de Hansfeld parlait sérieusement. — Pourquoi M. d’Otremont serait-il insolent à mon égard ?
— Non, non, vous vous trompez, reprirent plusieurs convives afin d’écarter tout sujet de querelle, — il s’agit d’une plaisanterie.
— À la bonne heure ! — répondit le jeune montagnard, de qui les traits assombris s’épanouirent soudain, grâce à la mobilité d’impression des gens que gagne l’ivresse. — Entre d’Otremont et moi, c’est à la vie et à la mort !