Page:Sue - Les Fils de famille (1856).djvu/378

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ma mère ?… Mais vous vous taisez… Béni soit Dieu ! votre vague calomnie ne repose sur aucune preuve. Je quitterai du moins cette maison sans que ma tendre vénération pour ma mère ait été altérée.

Puis, malgré son orgueil et son irascibilité, la jeune fille, faisant, malgré elle, un retour sur le passé, au moment de quitter madame Dumirail, qu’elle avait si tendrement aimée, elle ajouta d’une voix légèrement attendrie :

— Adieu, madame ! Votre silencieux et tardif remords me permet de vous pardonner l’iniquité de vos accusations contre la mémoire de ma mère. Quant aux injustes et humiliants reproches que vous m’avez adressés, je les oublie pour me rappeler que, pendant trois ans, vous avez eu pour moi les bontés d’une mère. Adieu, madame !…

Jeane prit son chapeau, dont elle se coiffa précipitamment, tandis qu’Albert lui jetait son mantelet sur les épaules, en disant :

— Venez, Jeane ! vous trouverez chez ma mère le seul asile qui, maintenant, soit pour vous convenable.

— Ma nièce, vous ne devez pas quitter cette maison avant le retour de mon mari ! — dit madame Dumirail regrettant d’avoir concouru, par la vivacité de ses paroles, à la détermination de Jeane, pour qui elle ressentait, d’ailleurs, un véritable attachement. — Vous avez été confiée à la tutelle de votre oncle, lui seul décidera si vous resterez ou non ici. Je conviendrai, d’ailleurs, volontiers, qu’aigrie par le chagrin et en proie aux cruelles inquiétudes dont, mieux que personne, vous savez la cause, j’ai pu manquer de mesure dans les termes que j’ai employés à votre égard, et qu’en parlant de votre mère je me suis sans doute mal expliquée, car je ne fais allusion qu’à certains défauts de son caractère. Ce loyal aveu, je l’espère, changera votre résolution…

— Il est trop tard, madame, — reprit tristement Jeane ; — je n’aurais aucun asile assuré, qu’après ce qui s’est passé entre nous… et bien que je vous pardonne l’injustice de vos reproches, je ne resterais pas ici ; ma dignité s’y oppose.

— Rester dans cette maison où l’on vous a abreuvée d’outrages ? commettre une insigne lâcheté, vous, si fière, si courageuse ? Est-ce que c’est possible ? — ajouta San-Privato en offrant son bras à la jeune fille, qui le prit et s’éloigna, malgré les prières, les injonctions de madame Dumirail, qui s’écria, la suivant du regard :