— En un mot, ma tante, — reprit San-Privato, — par suite des motifs qu’elle vient d’exposer, et dont je reconnais la gravité, ma cousine, au nom de sa dignité blessée, au nom du respect dû à la mémoire de son père, ne jugeant plus ni convenable ni possible de demeurer près de vous, préfère aller demeurer près de ma mère.
— Telle est, madame, ma résolution, — ajouta Jeane d’une voix ferme, — si vous persistez à…
— Vous êtes une misérable ingrate ! — s’écria madame Dumirail exaspérée, — vous êtes une créature sans cœur ! Je vous ai traitée comme ma fille ; vous me voyez accablée de chagrins, bourrelée d’angoisses ; vous pouviez m’aider à conjurer les malheurs que je redoute, et vous m’abandonnez ! Eh bien ! partez, partez donc ! je ne m’y oppose pas ; vous me faites horreur, vous n’avez jamais aimé mon fils ! Ah ! maintenant que votre caractère se révèle dans toute sa noirceur, je crois, Dieu me pardonne, que je me consolerais de ce que Maurice a été dupe de cette madame de Hansfeld, en songeant que du moins il ne sera jamais votre mari ! Vous eussiez fait son désespoir, sa honte peut-être ! Tenez, vous serez la digne fille de votre mère, vous ne vaudrez pas mieux qu’elle ! Ah ! malheur, malheur à qui vous épousera !
— Grand Dieu ! — reprit Jeane en interrogeant San-Privato d’un regard de stupeur, — l’ai-je bien entendu ?… on outrage ma mère !
— Ah ! c’en est trop ! — dit San-Privato, — vous ne pouvez, Jeane, après une pareille insulte, demeurer une heure ici.
— Et qu’osez-vous donc, madame, lui reprocher, à ma mère ? — s’écria la jeune fille impérieuse, irritée, presque menaçante, faisant un pas vers madame Dumirail. — Les services que vous m’avez rendus vous donnent-ils le droit de calomnier un ange de vertu, d’insulter la mémoire d’une femme qui n’est plus ?… Ah ! je vous dis, moi, que vous mentez, madame ! Je vous dis, moi, qu’en voulant m’inspirer des doutes sur l’honneur de ma mère, vous commettez une action infâme !
— Malheureuse ! — s’écria madame Dumirail outrée de ces reproches. — sachez donc que, si quelqu’un doit être accusé d’infamie, c’est la femme adultère ; sachez donc que votre mère…
Madame Dumirail s’interrompit, regrettant, mais trop tard, de s’être laissé entraîner par la colère à une déplorable révélation, tandis que Jeane, palpitante d’indignation et de douleur, reprenait, s’adressant à sa tante, d’une voix altérée :
— Achevez donc, madame ! Qu’avez-vous à m’apprendre sur