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sement outre mesure, tu te fatiguerais, — reprit madame Dumirail d’un ton de doux reproche.

Et, faisant asseoir sur ses genoux la jeune fille, elle détacha son large chapeau de paille, puis, avec une sollicitude maternelle, elle étancha de son mouchoir le front moite et les joues brûlantes de Jeane, qui lui dit, souriant et l’embrassant tendrement :

— Me voici délassée, chère tante, ma fatigue est oubliée !

— C’est possible… mais tu vas, s’il te plaît, rester là entre nous deux, faneuse effrénée, — reprit M. Dumirail.

Et, d’un geste d’affectueuse autorité, il prit le bras de Jeane et l’obligea de se placer entre lui et sa femme. Tirant ensuite son mouchoir, il essuya la moiteur des épais bandeaux de la blonde chevelure de la jeune fille, en ajoutant :

— Voyez un peu comme elle a chaud !

Et, s’adressant à madame Dumirail :

— Julie, détache ton écharpe et mets-la autour du cou de cette enfant.

— Oh ! mon oncle… c’est inutile, je…

— Certainement… il est inutile de te préserver d’un refroidissement toujours si dangereux dans nos montagnes, imprudente enfant ! dit madame Dumirail en interrompant Jeane.

Et, aidée de son mari, elle enveloppa soigneusement des plis de l’écharpe le cou et les épaules de la jeune fille. Celle-ci prit ensuite, pour les porter à ses lèvres, les mains de son oncle et de sa tante avec un mouvement d’une grâce si touchante, que tous deux échangèrent un regard attendri.

Un autre regard non moins ému suivait cette scène, car elle avait pour témoin muet et attentif Charles Delmare. Celui-ci, se rendant à l’invitation de ses voisins et ne les ayant pas trouvés au logis, venait les rejoindre dans la cour de la ferme. Il s’abrita pendant un instant derrière l’un des chariots, afin de contempler sa fille, assise entre M. et madame Dumirail ; puis il se rapprocha d’eux au moment où Maurice, l’œil étincelant, la joue en feu, le front ruisselant de sueur, accourait triomphant et s’écriait d’une voix haletante, en montrant le ciel orageux, d’où tombaient déjà quelques gouttes de pluie fouettées par le vent :

— Lorsque je veux une chose, rien ne peut m’empêcher de l’accomplir ! J’avais dit que le foin serait rentré avant l’orage… c’est fait !

La physionomie, l’attitude, l’accent de Maurice, exprimaient de nouveau, et plus énergiquement encore, cette opiniâtre puissance de volonté dont avaient été récemment frappés ses parents ; elle