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nous pour toujours ! — répondit madame Dumirail avec effusion, en couvrant son fils de caresses.

Puis elle ajouta :

— Tiens, la voilà, ta Jeane, ta fiancée, le ciel l’envoie ; elle a partagé mon chagrin, elle va partager mon bonheur ; elle sera trop heureuse pour ne te pas pardonner ce qu’elle a souffert !

La jeune fille entrait, en effet, à ce moment, et Maurice, encore sous l’empire de ses bonnes résolutions, s’élançait au-devant de sa fiancée afin de tomber à ses genoux et d’implorer son pardon ; mais il resta pétrifié à l’aspect et aux premières paroles de la jeune fille.

Ces paroles furent celles-ci :

— Notre cher et aimable cousin San-Privato, avec qui j’ai eu l’extrême plaisir de m’entretenir tête à tête depuis son arrivée, désirerait vous voir, ma bonne tante.


LXVIII

Jeane, en s’empressant d’apprendre à Maurice qu’elle venait d’avoir le plaisir d’entretenir tête à tête son cher et aimable cousin San-Privato, avait médité, pesé, accentué chacune de ses paroles, afin que chacune d’elles fît au cœur ou à l’orgueil de son fiancé une cruelle blessure. Il en fut ainsi.

Maurice, malgré l’enivrement sensuel provoqué en lui par madame de Hansfeld, éprouvait toujours pour Jeane ce chaste et premier amour que rien ne pouvait faire oublier, que rien n’égale ni ne remplace, et dont presque toujours le pur et doux souvenir survit à toutes les corruptions, surnage à tous les désordres ; aussi cet amour s’était-il réveillé plus vif, plus tendre que jamais, lorsque le jeune homme avait pris la ferme résolution de fuir Paris, ses entraînements, et de regagner le Morillon, ne doutant pas d’obtenir de Jeane le pardon d’un moment d’égarement. Or, que l’on imagine sa jalousie, son désespoir, lorsqu’il entendit soudain Jeane s’exprimer en termes si affectueux, si coquets, à l’é-