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rice, éveillèrent en lui quelques remords ; ils se trahirent sur ses traits assombris.

Madame Dumirail, remarquant ce symptôme, en conçut un vif espoir ; la sévérité de sa physionomie fit place à la plus tendre émotion, et, les yeux noyés de pleurs, elle s’écria en se jetant au cou de son fils :

— Mon enfant, je te le jure, crois-en mes pressentiments, je te sauve d’un grand danger en t’enlevant d’ici.

— Hélas ! peut-être avez-vous raison, ma mère !

— Sois-en certain, car je ne suis pas seule à trembler. Jeane partage mes craintes, comme elle a partagé mes larmes ! Si tu savais quelle nuit nous avons passée ! La pauvre enfant a tant pleuré, tant pleuré, qu’elle est aussi changée que je le suis… Enfin, mon ami, je n’ajouterai qu’un mot… Regarde-moi… regarde-moi bien…

Maurice, depuis son retour au logis et sous le coup d’impressions diverses, avait, pour ainsi dire, à peine osé envisager sa mère en face ; il leva donc et arrêta longtemps ses yeux sur madame Dumirail. Bientôt il fut étonné, attendri et alarmé de l’incroyable changement survenu, depuis vingt-quatre heures à peine, dans la physionomie de sa mère ; sa pâleur, ses joues creusées, marbrées, ses yeux caves, rougis par les larmes, par l’insomnie, révélaient déjà les rapides progrès d’un profond chagrin. L’émotion de Maurice fut si vive, si poignante, qu’il fondit en larmes et s’écria :

— Oh ! pardon, ma mère… pardon ! c’est maintenant seulement que j’ai conscience de la peine que je t’ai causée !

— Hélas ! mon ami, la souffrance réagit d’autant plus cruellement sur moi, que, pendant vingt ans, ma vie a été aussi paisible qu’heureuse. Aussi, je te le demande, si mes angoisses d’hier, de cette nuit, de ce matin devaient se renouveler souvent, dis, crois-tu qu’il me resterait beaucoup de jours à vivre ?

— Grand Dieu ! ma mère !

— Mon pauvre enfant, avant trois mois, tu conduirais mon cercueil au cimetière !

Ces simples et navrantes paroles allèrent si douloureusement au cœur de Maurice, que, se jetant éperdu dans les bras de madame Dumirail, il s’écria :

— Ah ! tu dis vrai, ma mère, fuyons Paris, j’ai peur. Oh ! passer ma vie auprès de toi, de mon père et de Jeane, voilà mon seul vœu maintenant !

— Dans une heure nous serons en route pour nos montagnes, cher enfant bien-aimé. Tu n’étais qu’égaré, te voici revenu à