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— Vous ne jouissez pas, quant à présent, de la plénitude de votre raison, je vous le répète ; voilà pourquoi mon indignation fait place à la pitié, voilà pourquoi je vous plains, voilà pourquoi je veux vous guérir de votre aberration passagère ; et, grâce à Dieu, après un mois de séjour dans nos montagnes, vous aurez recouvré votre bon sens.

— Je possède toute ma raison, ma mère ; je vous le prouve en avouant mes torts, en vous demandant pardon, mille fois pardon, de la cruelle inquiétude où je vous ai jetée en demeurant absent toute la nuit. Je regrette d’avoir songé à des dépenses exagérées ; il faut excuser un moment d’entraînement. Je me contenterai des cent francs par mois que vous m’accordez, je me bornerai à des désirs raisonnables, je me livrerai assidûment aux travaux de ma nouvelle carrière, je m’efforcerai, en un mot, de vous faire oublier les seuls chagrins que je vous ai causés jusqu’à présent ; je vous demande seulement de m’accorder la liberté dont doit jouir un jeune homme de mon âge, et de cette liberté je vous promets de ne pas abuser.

— Est-ce tout ce que vous avez à me dire là-dessus ?

— Oui, ma mère.

— Eh bien ! je vous engage à vous occuper de vos préparatifs de voyage. Rappelez-vous que nous partons à midi.

— Ainsi, ma mère, telle est votre inflexible réponse à l’aveu de mes torts, à ma promesse de vous épargner à l’avenir tout sujet de plainte à mon égard ?

— Je ne puis ajouter aucune foi à vos promesses. Il est un seul moyen de vous sauver de vous-même, c’est de vous soustraire aux tentations mauvaises. Aussi allons-nous quitter Paris sur-le-champ.

— Ma mère, il m’en coûte de vous désobéir ; mais je suis résolu à attendre ici l’arrivée de mon père, et à me soumettre à sa décision.

— Mon fils !… mon fils !… prenez garde !…

— Je vous le répète, je suis résolu à attendre ici l’arrivée de mon père ; rien ne pourra changer ma volonté.

— Malheureux enfant ! vous voulez donc me pousser à bout ? — s’écria madame Dumirail exaspérée par la douleur ; — vous ne comprenez donc pas qu’il est des reproches devant lesquels reculent la dignité, la pudeur d’une mère ? Il me faut donc encore prononcer un nom qui jamais n’aurait dû souiller mes lèvres !… le nom de cette abominable créature !…

— Ma mère !… cet outrage !…