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se passait autour de lui. Cependant il sentit que la sueur dont ruisselait son front était étanchée par madame de Hansfeld à l’aide de son mouchoir parfumé de senteurs, et qui, certaine d’être entendue de sa victime, disait à demi-voix, feignant l’accent du plus tendre intérêt :

— Pauvre enfant, l’émotion l’accable… Qu’il est beau ainsi ! Combien il va être adoré, idolâtré ! Combien de femmes qui, mieux que moi, lui plairont, vont se disputer son cœur ! Pour elles, bientôt il oubliera Jeane, sa charmante fiancée. Va, noble fille ! ne crains rien de moi ; je cacherai sous les dehors de l’amitié mon amour insensé pour Maurice ! Être ton amie, ta meilleure amie ! ô Maurice, n’est-ce pas encore un sort digne d’envie ? Oui, je serai ta sœur, et du moins tu me tendras toujours fraternellement ta noble et loyale main.

Et Antoinette, qui tenait cette main entre les siennes, l’effleura timidement de ses lèvres. Ne paraissant pas s’apercevoir d’un frissonnement échappé à Maurice, qui, plongé dans un état analogue à celui où notre esprit flotte incertain entre la veille et le sommeil, percevait cependant toutes les paroles de la terrible sirène, elle ajouta :

— Mais ma raison s’égare ! Tais-toi, mon cœur ! apaisez-vous, ardeurs dévorantes ! jamais Maurice ne daignera m’aimer ! Mon Dieu ! son évanouissement ne cesse pas ; que faire ? que faire ?… Ah ! ce flacon de sels…

Madame de Hansfeld, semblant alors seulement songer à ce réconfortant, alla prendre sur une table voisine un flacon d’or constellé de pierreries, revint, s’agenouilla sur le divan, fit aspirer à Maurice les sels, dont la subtilité pénétrante le ranima tout à fait. Il ouvrit languissamment les yeux et vit, courbée vers lui, Antoinette, les traits empreints d’une tendre sollicitude et disant :

— Maurice, Maurice, mon ami, revenez à vous !… C’est moi, Antoinette, votre amie ; ne me reconnaissez-vous pas ?