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— Si, Maurice, vous oserez me donner la preuve d’affection que je sollicite de vous, lorsque vous serez persuadé que je suis votre amie, votre meilleure amie, et que j’éprouve pour votre charmante fiancée autant de sympathie que pour vous-même.

— Quoi, madame ! il serait vrai… Jeane aussi ?…

— Décidément, vous ne voulez pas m’appeler Antoinette ? — reprit madame de Hansfeld avec un sourire de doux reproche, — vous ne voulez pas… dites ?

— Mon Dieu… je…

— Enfin, essayez, faites cela pour moi, Maurice, et, si mon nom vous est trop pénible à prononcer, eh bien ! je n’exigerai plus de vous ce sacrifice ; mais, au moins… essayez… Voyons, je vous en prie, dites : Antoinette…

— Antoinette… — murmura Maurice d’une voix tremblante — sentant malgré lui l’ivresse le gagner.

Aussi, dans sa détresse, invoquant le souvenir de sa fiancée, il se disait :

— Non, non, je n’aime que toi, ma Jeane !… Ce trouble brûlant que j’éprouve… auprès de cette dame… que je vois aujourd’hui pour la première fois… ce n’est pas de l’amour… c’est une sorte de vertige… Ah ! pourquoi suis-je venu ici !

Madame de Hansfeld ne trouva pas opportun de pousser l’ivresse de Maurice à son comble, et, voulant plutôt quelque peu la calmer, elle reprit d’une voix douce et grave :

— Maintenant, mon ami, parlons sérieusement… appelez-moi ou ne m’appelez pas familièrement Antoinette, peu m’importe ! pourvu que vous soyez persuadé que la plus tendre des sœurs n’aurait pas pour vous un attachement plus vrai, plus dévoué que celui que j’ai pour vous.

Maurice, à ces fraternelles paroles, sentit son embarras décroître, le trouble de ses sens peu à peu s’apaiser ; puis, une inconcevable curiosité le dominant, il reprit timidement :

— Madame, vous voulez bien m’assurer que vous m’aimez en sœur… et cependant vous me voyez aujourd’hui pour la première fois… vous ne me connaissez pas…

— Vous vous trompez, Maurice, je vous connais depuis longtemps ; je vous l’ai prouvé tout à l’heure en vous montrant qu’aucune des qualités de votre caractère, de votre esprit ou de votre cœur ne m’était étrangère, et, bien plus, je n’ignore rien de ce qui vous touche, non, rien absolument ! Je sais combien votre chère retraite du Morillon vous était chère, combien vous aimez votre digne père, votre excellente mère et votre cousine Jeane,