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« P.-S. Je crois, monsieur, devoir vous prévenir que toute tentative de rapprochement ou de correspondance avec moi resterait sans succès. Épargnez-moi donc le véritable chagrin que j’aurais de laisser vos lettres désormais sans réponse. »


XLVI

Charles Delmare lut cette lettre avec l’accent d’une tristesse profonde, mais sans amertume, sans colère ; puis, douloureusement accablé, il dit :

— Telle est donc la réponse de M. Dumirail à une lettre dont chaque mot partait du cœur ! une lettre où l’amitié la plus éclairée, la plus vive, respirait dans tous les conseils que me pouvait suggérer ma longue et cruelle expérience des choses de la vie ! Mais à cette réponse je devais m’attendre ; l’erreur de cet homme de bien est d’autant plus dangereuse qu’elle procède d’un sentiment généreux en soi : voir son fils parcourir une brillante carrière et s’élever par son mérite. Hélas ! mon pauvre père obéissait aussi à un sentiment généreux, en se disant : « Je mets mon luxe, mon orgueil dans mon fils ; mon unique joie est de le voir jouir du fruit de mes longs et pénibles labeurs. » Ô mystères insondables de la destinée ! L’avenir de cette famille était compromis par la funeste influence de San-Privato ! Un concours de circonstances inespérées éloigne cet homme fatal ! le danger disparaît avec lui. La confiance, l’espoir renaissent dans le cœur de Jeane et de Maurice ; leur instinct les guide dans la voie qui devait les conduire à un bonheur assuré ; ils pressent M. Dumirail de les marier ; leur vœu le plus sincère est de continuer de vivre ici… où ils n’auront ni l’occasion ni la tentation de faillir… et c’est lui… lui, ce père de famille, ordinairement si intelligent, si sage, qui les pousse peut-être à leur perte, malgré mes avertissements, mes instances, mes prières !… Mon Dieu ! ma fille aussi va peut-être courir à sa perte ! Et cet homme ose me demander de quel droit je m’intéresse à mon enfant… Misère de moi !… je le…