— Dans deux heures…
— Je devais m’attendre, je m’attendais à ce nouveau coup, et pourtant il m’abat !… — murmura Charles Delmare. — Ainsi… le sort en est jeté… plus d’espoir… ils partent !
— Oui, sauf M. Dumirail ; ils vont se mettre en route ; ils doivent voyager en poste dans la voiture du muscadin.
— Ah ! la vanité !… la vanité !… Avant-hier, M. Dumirail blâmait sa sœur de voyager ainsi.
— Toute la maison a la mort dans l’âme ; il leur semble, à ces bonnes gens, mon pauvre fieu, qu’ils ne reverront plus leurs maîtres. Les chouettes, toute la nuit, ont gémi, les chiens ont hurlé la mort !…
— Oh ! gardiens fidèles du foyer domestique, votre instinct ne vous trompe pas ! Vous vous réaliserez, funestes prophéties ! — dit Charles Delmare cédant malgré lui à une sorte d’appréhension superstitieuse. — Perdus… peut-être… perdus ! Jeane, ma fille… Maurice !… Ah ! pour vous… quel avenir je prévois… puissiez-vous démentir mes prévisions ! À quelle fatalité obéit donc cette malheureuse famille ? Que Maurice et Jeane, habitués à respecter l’autorité de M. Dumirail, aient subi son influence, si contraire à leur première impulsion et à mes avis, à la rigueur, je le comprends… Mais madame Dumirail, elle, douée d’un caractère ferme et d’une haute raison ; elle, mère pénétrée des dangers que va courir son fils, comment a-t-elle pu consentir à ce voyage ?… Hélas !… pauvre femme !… je l’accuse à tort… Incapable de triompher de l’opiniâtreté de son mari, que pouvait-elle faire, sinon de deux maux choisir le moindre, et accompagner son fils à Paris ?
— Si tu lisais la lettre de M. Dumirail, mon Charles, tu apprendrais peut-être quelque chose, — dit Geneviève navrée en présentant la lettre à Charles Delmare ; — lis donc tout de suite sa réponse.
— Ah !… sa réponse, je la devine. L’orgueil paternel a troublé la raison de cet homme ordinairement plein de sagesse.
Et Charles Delmare, brisant le cachet de l’enveloppe, lut ce qui suit :
- « Monsieur,
« Tout en appréciant la nature du sentiment qui vous a déterminé à m’écrire, malgré la vivacité de notre dernière explication et la rupture qui s’en est suivie, je ne peux cependant vous le