la circonstance était à ses yeux assez grave pour qu’il n’écoutât pas le ressentiment de la susceptibilité blessée ; il résolut donc de ne point paraître s’apercevoir de la froideur de son ami, remarquant, d’ailleurs, que madame Dumirail, de qui la figure triste et altérée le frappa, semblait l’engager du regard à rester, il resta.
— Mon père, — dit Maurice à M. Dumirail, — avant-hier au soir, toi et ma mère, vous nous avez fiancés, nous promettant de hâter autant que possible l’époque de notre mariage. Nous venons, Jeane et moi, te rappeler, ainsi qu’à ma mère, votre promesse.
— Et dans cette promesse nous mettons tout notre espoir, — ajouta Jeane ; — car cette promesse doit assurer le bonheur de notre vie.
— Béni soit Dieu ! — pensait madame Dumirail jetant un regard expressif à Charles Delmare, qui en comprit la signification, — béni soit Dieu ! Maintenant, je ne redoute plus les suites de ma lutte contre l’aberration de mon mari ; mon fils lui-même est mon auxiliaire, qu’ai-je à craindre ?
M. Dumirail, malgré la contrariété, le désappointement que lui causait la démarche des deux fiancés, se domina, et répondit à son fils d’une voix affectueuse et grave :
— Ta mère et moi, mon cher Maurice, serons fidèles à notre promesse, puisque ton union avec ta cousine comble nos vœux. Seulement, quant à ce qui est de hâter l’époque de votre mariage, je te demande instamment de mûrement réfléchir ; Jeane et toi, vous êtes encore très-jeunes. Or, telle ou telle circonstance imprévue pourrait te faire regretter trop de précipitation à contracter si jeune un engagement indissoluble.
— Mon père, nous avons mûrement réfléchi, Jeane et moi ; nous sommes certains, elle te l’a dit, de trouver le bonheur dans ce mariage et dans notre résolution de passer ici nos jours près de vous.
— Jamais vous n’avez été mieux inspirés, mes enfants, — dit vivement madame Dumirail, — et, ainsi que vous, nous hâtons de tous nos désirs le jour de votre union.
— Sans doute, — reprit M. Dumirail, contenant son impatience et son irritation. — Ainsi, mon fils, tu es bien résolu à rester cultivateur ?
— Oui, mon père.
— Te crois-tu certain… aussi certain toutefois que l’on peut l’être… qu’à ton goût pour l’agriculture ne succédera pas une autre vocation ?
— Je ne le pense pas.