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— Lesquelles, mon ami ?

— Maurice, j’en suis convaincu, éprouve, non de l’envie, ce serait le calomnier, mais une généreuse émulation en songeant à la brillante carrière ouverte à son cousin ; aussi notre fils éprouve-t-il une sorte de découragement en se disant qu’il consacrera sa vie à engraisser des bœufs et des porcs ou à surveiller la confection des fromages du Jura, ainsi que le répétait ma sœur avec un ricanement sardonique qui finissait par m’exaspérer. Aussi, morbleu ! ne fût-ce que pour lui donner une bonne leçon de modestie maternelle, à madame ma chère sœur, je voudrais lui prouver que, si gros paysan qu’il soit, notre fils a autant, sinon plus, de capacité que notre neveu ; cela serait démontré de reste dans le cas où Maurice, ainsi que j’ai tout lieu de le croire, éprouverait une louable ambition. Nous saurons d’ailleurs bientôt à quoi nous en tenir là-dessus.

— Comment ?

— En interrogeant Maurice à ce sujet ; car il se pourrait que, de crainte de nous contrarier ou d’être mal accueilli de nous, ce cher enfant nous dissimulât son secret désir. En ce cas, c’est à nous d’aller au-devant de sa pensée, dans l’intérêt de son avenir.

— Mon ami, plus je t’écoute, plus mes inquiétudes augmentent…

— À propos de quoi ?

— À propos de la seule possibilité de ce changement de vocation chez mon fils. Les conséquences de ce changement seraient incalculables.

— Incalculables ?… Il me semble, au contraire, très-facile de les calculer.

— Sans doute, rien n’est malheureusement plus facile ; il faudrait d’abord ajourner de beaucoup le mariage de notre fils et de Jeane.

— Ils sont si jeunes !

— Il faudrait ensuite… et à cela je ne saurai jamais me résoudre… il faudrait peut-être nous séparer de Maurice !

— Ma chère Julie, les parents doivent aimer leur enfant pour lui, non pour eux-mêmes, et courageusement sacrifier leurs goûts, leurs habitudes, lorsque ce sacrifice est nécessaire.

— Mon ami, tu n’y penses pas ? Maurice, à son âge, inexpérimenté, ardent, impétueux ainsi que nous le connaissons, abandonné à lui-même dans une grande ville, à Paris peut-être, grand Dieu ! souviens-toi donc des craintes si justes exprimées à ce sujet par notre ami.