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Puis, s’interrompant et tournant les yeux vers la fenêtre du rez-de-chaussée, Charles Delmare ajouta :

— Silence ! voici Maurice… il vient sans doute s’acquitter envers moi de quelque commission de la part de son père.

Bientôt, en effet, Maurice Dumirail entra dans le salon après avoir attaché aux barreaux de la croisée de la cuisine les rênes de son vigoureux double poney ; le jeune homme resta seul avec Charles Delmare après avoir adressé quelques affectueuses paroles à la vieille nourrice.

Maurice Dumirail a vingt ans passés ; il est très-grand, très-robuste, large d’épaules et de poitrine ; la bonne humeur et la santé se lisent sur son visage, d’une beauté mâle et douce ; son teint vermeil est hâlé par le soleil ; une naissante barbe brune ombrage sa lèvre et ses joues rondes ; ses yeux bleus brillent d’intelligence ; sa physionomie, à la fois attrayante et énergique, a un caractère remarquable de bonté, de franchise et de résolution ; tout révèle chez l’athlétique jeune homme cette exubérance de sève que l’on doit au calme, à la pureté de la vie agreste ; il est doué d’une telle surabondance de forces, qu’elles semblent devoir à peine trouver leur emploi dans l’incessante activité de ses occupations agricoles. Déjà très-expert cultivateur, il aidait son père, M. Dumirail, à faire valoir ses terres. Libre et souple dans sa puissante allure, Maurice est vêtu d’une blouse grise dont le collet rabattu laisse à nu son cou d’hercule ; ses demi-guêtres de cuir se bouclent au-dessous de son genou et dessinent le contour de son mollet, aussi musculeux que sa cheville est fine et nerveuse. Il tient d’une main son large chapeau de paille et de l’autre son fouet de chasse.

— Pardon, cher maître, je viens vous déranger, — dit Maurice à Charles Delmare avec un accent d’affectueuse déférence et de cordialité, mon père m’a chargé d’une commission pour vous.

— De quoi s’agit-il, mon ami ?

— Vous devez venir dîner aujourd’hui à la maison ; mon père vous prie d’être au Morillon, au plus tard, à quatre heures, parce qu’il désirerait, ainsi que ma mère, causer longuement avec vous.

— Je serai chez vous à quatre heures précises.

— De plus, ma mère vous prie de l’excuser d’avance, mon cher maître, de ce que l’heure du dîner sera de beaucoup retardée, car on nous a ménagé une surprise…

— Comment cela ?

— Mon père a reçu, hier, une lettre de ma tante San-Privato,