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et ceux de cette journée, en confirmant tout ce que je pressentais du caractère, des penchants, de l’organisation de ma fille, me donnent la conviction absolue… tu m’entends, absolue… que, si Jeane épouse Maurice et vit avec lui, loin du monde, selon le désir qu’ils ont témoigné tant de fois, et que, grâce à Dieu, ils éprouvent encore, malgré les dangereux ferments que la perfidie infernale de San-Privato a jetés dans leur âme, ces deux nobles enfants sont certains d’être heureux, à jamais heureux.

— Bon !… Mais, si leur mariage est de beaucoup reculé, ou bien s’ils ne se marient pas ; enfin, si Maurice va à Paris ?

— En ce cas, Geneviève, ma fille est perdue ! — répondit Charles Delmare avec une angoisse inexprimable ; — Maurice aussi est perdu !

— Perdue… ta Jeane ? — s’écria la nourrice effrayée de l’accent et de la physionomie de Charles Delmare ; — est-il Dieu possible ! perdue ! ta Jeane ?… Cet ange… ce trésor de grâce, de beauté, de vertu… ainsi que tu l’appelles…

— Ce trésor de grâce, de beauté, de vertu, cet ange… s’il sort de son paradis… entends-tu, Geneviève ? et son paradis… est le milieu où elle vit ici, cet ange tombera dans un enfer d’exécrables passions… oui, et cet ange déchu effrayera peut-être un jour les démons !

Charles Delmare prononça cette sinistre prophétie avec une si douloureuse et si effrayante conviction, que Geneviève, atterrée, stupéfaite, le regarda, et ne put que joindre les mains en poussant une exclamation de surprise et d’effroi.


XXXVII

Un silence de quelques minutes a succédé au terrible pronostic porté par Charles Delmare sur l’avenir de Jeane dans le cas où elle n’épouserait pas Maurice ; ce silence, Geneviève le rompt la première, et, encore palpitante de frayeur :

— Charles… lorsqu’un père… et un père tel que toi… ose se livrer à de pareils présages au sujet d’une fille qu’il chérit plus