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— Soit, ma cousine, — dit Albert se plaçant aux côtés de la jeune fille ; — on peut très-bien causer en marchant.

— Monsieur, — dit Jeane d’une voix ferme et regardant San-Privato en face, — toute conversation entre nous, désormais, serait vaine. Maurice et moi, nous vous avons sauvé la vie, et de plus, pardonné le mal que vous nous avez fait ; que voulez-vous de plus ?

— Je veux, ma cousine, répondre aux injustes accusations portées contre moi…, — répondit San-Privato d’une voix douce et pénétrante. — Il m’est cruel d’être méconnu de vous.

— Méconnu ?… — dit Jeane avec amertume. — Non, non… nous ne vous connaissons que trop et trop bien !

— Tenez, monsieur notre cousin, croyez-moi, ne lassez pas ma patience ; elle a été jusqu’ici excessive, et je ne jurerais plus maintenant de rester maître de moi, — ajouta Maurice sentant son indignation réveillée par l’audacieuse persistance du jeune diplomate.

Cependant, se contenant, il reprit avec ironie :

— Je devine votre honnête intention ; nous sommes, Jeane et moi, heureux, confiants l’un dans l’autre ; ce bonheur, cette confiance, vous enragent ; c’est tout simple : vous éprouvez naturellement le besoin de jeter dans notre cœur la défiance et le chagrin, comptant, pour ce bel exploit, sur le fiel de vos paroles. Avouez que nous serions dignes d’être les stupides jouets de votre méchanceté, si nous consentions à vous écouter ; donc, bonsoir, monsieur notre cousin !

Et Maurice, offrant son bras à sa fiancée :

— Viens, Jeane.

Tous deux hâtèrent le pas, devançant pendant quelques instants San-Privato ; celui-ci restant ainsi en arrière avec Charles Delmare, lui dit :

— Mon cher monsieur, vous avez sur ces deux enfants une influence extrême et méritée ; faites donc, s’il vous plaît, qu’ils daignent m’écouter en place ; car d’honneur, je ne saurais, sans m’essouffler, entreprendre une conversation qui ressemble fort à l’une de ces courses au clocher dont vous étiez le héros souvent vainqueur au temps de votre belle jeunesse.

— Monsieur, — reprit Charles Delmare, — je ne puis forcer Maurice et sa cousine à vous écouter ; ils vous ont dit pourquoi ils redoutaient cet entretien.

— Parbleu ! c’est justement pour cela que je veux qu’ils m’entendent et qu’il faut à cela les engager.