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m’est impossible de rester à vos yeux, à vous… à vous de qui l’affection m’est si chère… non, il m’est impossible de rester à vos yeux sous le coup d’une accusation d’autant plus odieuse qu’elle est plus vague… et, si indigne que soit l’accusateur, je veux qu’il s’explique.

S’adressant à San-Privato :

— Si, à l’instant même, vous ne formulez pas, du moins, votre odieuse calomnie… je…

— Épargnez-vous, monsieur, de ridicules menaces… bonnes au plus à effrayer des enfants, — reprit San-Privato. — Je vais donc, puisque vous m’y obligez, m’expliquer clairement… Mais prenez garde !…

— Parlez.

— Je cédais à une sorte de compassion pour vous, — dit en soupirant San-Privato ; — mais, puisque vous voulez absolument que je parle…

— Ah ! c’est trop de patience ! parlez, misérable ! je vous mets au défi !

― J’accepte le défi, — dit San-Privato.

Et il ajouta lentement :

— Il y a dix-huit ans de cela. Un jour, à Lausanne… un homme se disant peintre et se faisant appeler…

— Pas un mot de plus ! — s’écria Charles Delmare devenant pâle comme un spectre. — Oh ! pas un mot de plus, monsieur !


XXX

Maurice et Jeane ne pouvaient croire à ce qu’ils voyaient, à ce qu’ils entendaient : leur maître, leur ami, qu’ils aimaient autant qu’ils l’estimaient, pâlissant soudain et accablé comme s’il eût fléchi sous le poids de ses remords, et interrompant avec l’accent de la prière son accusateur, et semblant lui demander grâce, en s’écriant : « Pas un mot de plus, monsieur !… Oh ! pas un mot de plus ! »