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que les trésors de dons naturels qui, crois-en mon expérience, rendent notre cousine l’une des femmes les plus remarquables que l’on puisse rencontrer… tu t’affligeais, dis-je, de penser que tant de trésors seraient pour toujours ensevelis dans la solitude de ces montagnes, comme le diamant ignoré au fond de la mine où il demeure à jamais enfoui. Cher et bon Maurice, ce qui augmentait encore tes regrets, c’est que tu savais notre cousine douée d’une âme trop délicate, trop tendre et trop haute pour laisser seulement soupçonner combien lui pèserait la morne et obscure existence à laquelle vous condamnait tous deux la modestie de tes goûts… ou plutôt, l’ignorance absolue de ta propre valeur, Maurice ; car, ainsi que notre cousine, tu n’as pas conscience de toi-même… et, si tu le voulais fermement, tu pourrais prétendre à tout.

— Maurice ! — s’écria Jeane alarmée de voir son fiancé, de plus en plus attristé, garder un silence pensif, — notre cousin se trompe. Crois-moi, crois-moi, jamais je n’ambitionnerai une existence autre que celle qui a été jusqu’ici la nôtre.

— Maurice ne doute pas de vos paroles, chère cousine, — se hâta de dire Albert. — Ne sait-il pas, d’ailleurs, qu’eussiez-vous pour lui l’ambition la plus généreuse, vous la cacheriez, vous la nieriez courageusement, de crainte de contrarier ses goûts.

— Cette supposition est fausse, je n’ai ni n’aurai d’autre ambition que celle de contribuer au bonheur de Maurice ; et, pour lui et pour moi, le bonheur est de continuer de vivre ici comme par le passé, — reprit Jeane.

Puis, s’adressant à son fiancé d’un ton d’affectueux reproche :

— Quoi ! mon ami, pas un mot ? Pourrais-tu douter de la sincérité de mes paroles ? Je te le répète et te le jure, mes goûts seront toujours les tiens.

— Jeane, — reprit Maurice d’une voix grave, après quelques moments de recueillement, — excuse mon silence prolongé ; les paroles d’Albert m’ont fait profondément réfléchir. J’agissais en égoïste, je ne songeais qu’à moi.

Et, répondant à un mouvement négatif de sa fiancée, le jeune homme ajouta :

— Je connais ta sincérité, mais je connais aussi ta rare délicatesse. Albert dit vrai ; oui, de crainte de me causer un moment de chagrin ou de contrariété, tu renoncerais au plus vif désir de ta vie. Aussi, je t’en conjure, ne me cache rien, ma Jeane bien-aimée, quels que soient mes penchants, j’y renoncerai, s’ils ne s’accordent pas avec les tiens. Oui, si, comme l’assure Albert, le