— Crois aussi que mon reproche ne cachait pas la déconvenue d’une vaine curiosité ; non… votre cher secret, je l’avais dès hier deviné.
— Oh ! oh ! monsieur notre cher cousin est d’une rare pénétration ! — dit Jeane, d’autant plus ironique et agressive, qu’elle se sentait de nouveau dominée par Albert, et avertie par de vagues pressentiments qu’en donnant à la conversation le tour qu’il avait choisi, il méditait une perfidie. — Très-pénétrant vous êtes, en effet, notre cher cousin ! vous avez, ô miracle ! deviné ce que Maurice et moi ne cherchions nullement à cacher : notre amour ! — Vous avez deviné, ô prodige ! que j’aimais, que j’aime Maurice de toute la force de mon âme, parce qu’à mes yeux nul ne l’égale par la bonté, par l’esprit, par le courage, par la beauté !
— Jeane, — reprit vivement Maurice, heureux et confus des paroles de la jeune fille, — ton cœur t’abuse ; mon seul mérite est mon amour !
— Je ne songe pas à te flatter, mais à être très-agréable à notre cher cousin, en lui prouvant que sa merveilleuse divination n’était pas en défaut, et que notre tendresse… Mais, qu’ajouterais-je ?… — reprit Jeane ; — à quoi bon dire que notre incomparable sorcier lit sans doute dans notre pensée ?
— J’y lis, en effet clairement… ma cousine… très-clairement dans votre pensée… — répondit lentement San-Privato.
La projection du coup d’œil d’Albert, coup d’œil, si cela peut se dire, plongeant, fut ressenti par Jeane presque physiquement ; il alla au cœur, elle se sentit pénétrée, elle frissonna.
San-Privato, l’observant d’un regard oblique, poursuivit :
— Oui, je lis si clairement dans votre pensée, ma cousine, et dans la tienne aussi, cher Maurice… que je pourrais vous dire à tous deux vos plus secrètes pensées depuis hier.
— Voyez l’outrecuidance de ces diplomates ! reprit gaiement Maurice. — Ah ! seigneur devin, si nous te prenions au mot, quel serait ton embarras !
— Maurice, — ajouta vivement Jeane en proie à une anxiété croissante et éprouvant ce qu’éprouverait un coupable menacé d’une dangereuse révélation, — mon ami, ne vois-tu pas que notre cousin se raille de nous ! Puis, en causant, nous nous arrêtons à chaque instant, nous n’arriverons jamais à la grotte de Tréserve avant le coucher du soleil, et…
— Ma cousine…, ne croyez pas que je raille, — reprit amèrement San-Privato ; — j’ai lu dans votre pensée à tous deux… et rien de plus affligeant que la conviction d’inspirer l’éloignement…