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XXV

Maurice, Jeane et Albert s’étaient dirigés vers la grotte de Tréserve en suivant un sentier tracé à travers les prairies du chalet.

La jeune fille marchait entre ses deux cousins et s’appuyait sur le bras de son fiancé ; elle sentait son âme, si souvent troublée depuis la veille, se rasséréner de plus en plus ; elle était parvenue à trouver San-Privato ridicule, malgré les séductions de sa personne, et à lui préférer la mâle beauté de Maurice ; enfin, résistant à l’attrait d’une curiosité fatale, sa pensée ne se préoccupait plus incessamment d’Albert en cherchant à pénétrer par quel mystère cet homme étrange lui inspirait des sentiments si divers. Maurice, certain d’être aimé autant qu’il aimait, ne soupçonnant pas même la lutte douloureuse qui avait fréquemment agité le cœur de Jeane, oubliait à ce point ses premières velléités de jalousie contre son cousin, que, lorsque la jeune fille prit son bras en sortant du chalet, il lui dit tout bas :

— Tu devrais donner le bras à ce pauvre Albert, afin de lui prouver que tes petites malices de ce matin étaient, comme on dit, de bonne amitié. Il croit peut-être que tu as réellement de l’antipathie pour lui. Vois donc comme il a l’air triste.

— Bon ! c’est l’effet de sa migraine… et notre ami Charles Delmare lui a enseigné le moyen certain de la guérir… Qu’il se guérisse !… — répondit en souriant Jeane, avec la cruauté naïve d’une femme qui se venge de l’influence qu’elle a subie malgré elle, et dont elle se croit à jamais délivrée.

La tristesse de San-Privato paraissait, en effet, redoubler depuis qu’il se trouvait seul avec les deux fiancés, marchant lentement à leur côté, le front penché, le regard pensif ; il répondait à peine et d’un air péniblement distrait aux affectueuses paroles que, de temps à autre, lui adressait Maurice ; enfin, semblant prendre une brusque résolution, il s’arrêta et dit à son cousin d’une voix émue :

— Nous sommes parents, nous sommes amis d’enfance, la dissimulation entre nous est impossible… Je ne veux ni ne puis te