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Rien de plus simple à seize ans ; mais je me disais : « Peut-être, lorsqu’il deviendra jeune homme, ce qui lui plaisait quelques années auparavant ne lui plaira plus. »

— Tu te trompais, chère Armande.

— Évidemment… Ce n’était, d’ailleurs, qu’une supposition ; mais je me disais : « Si, par hasard, comme tant d’autres jeunes gens, ce pauvre Maurice venait à prendre en dégoût sa vie campagnarde et montagnarde, à trouver son apprentissage d’agriculteur atrocement ennuyeux, ce serait véritablement grand dommage ! »

— Certes… mais, grâce à Dieu, il n’en est point ainsi : Maurice se trouve plus que jamais satisfait de l’existence qu’il a embrassée par goût. « Je suis né paysan, nous disait-il encore hier, je mourrai paysan… »

— Ah ! mon frère, que de bon sens, que de rare bon sens dans ces simples paroles de ce cher enfant : « Paysan je suis né, paysan je mourrai !… » C’est qu’en effet ce pauvre gros Maurice est si bien né, si bien taillé, si bien charpenté, si bien organisé pour la vie de paysan, comme il dit, que cette vie seule lui peut convenir… par cette excellente raison que ce brave garçon, qui tuerait un bœuf d’un coup de poing, serait déplacé partout ailleurs qu’au milieu de ses charrues, de ses fromageries et de ses étables. Aussi dit-il avec une humilité charmante, en toute conscience et en connaissance de cause : « Paysan je suis né, paysan je mourrai… »

— Je te remercie de la bonne opinion que tu as du jugement de Maurice, — reprit M. Dumirail cachant le léger dépit de son orgueil paternel ; — il suit en effet sa vocation en se consacrant, comme moi, à l’agriculture. Cependant, sans me laisser aveugler en rien par mon amour-propre de père, je te certifie que, si son goût lui eût fait préférer une tout autre carrière que celle qui lui plaît, son excellente éducation, son intelligence, ses talents, l’énergie de sa volonté, son ardeur à tout ce qu’il entreprend, enfin la solidité de ses principes lui eussent permis, tout gros paysan qu’il te semble, de parcourir brillamment n’importe quelle carrière, et il n’aurait été déplacé dans aucune.

— Allons, cher frère, c’est trop dire !

— Je le répète, mon fils n’eût été déplacé dans aucune carrière.

— Tu admettras bien pourtant quelques exceptions.

— Pourquoi en admettrais-je ?

— Pourquoi ? Eh ! mon Dieu, parce que, soit dit sans blesser ton amour-propre de père, il est certaines carrières pour lesquelles,