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— Mais tu es ruinée ! comment trouves-tu à emprunter ?

— Sous la garantie de ma signature.

— Ta signature ou rien, c’est tout un, dans la position où tu te trouves. Il est impossible, il est incroyable que l’on t’offre le prêt d’une somme, considérable sans doute…

— Cinquante mille francs.

— Tu ne me feras jamais croire que l’on te prête cinquante mille francs sans autre garantie que ta seule signature.

— Ma seule signature, non ; l’on m’en demande une seconde.

— C’est-à-dire une caution sérieuse, solvable. J’en étais certain, car ta signature n’a aucune valeur. Et quel est le fou assez bénévole pour te cautionner ?

— Ah ! mon frère, taxer la générosité de folie !

— Il faudrait, je le répète, être fou à lier pour te cautionner, toi, dans ta position, et telle que je te connais, malheureusement !

— Mon Dieu, mon Dieu ! murmura madame San-Privato faisant semblant de sangloter dans son mouchoir, je n’avais plus d’espérance qu’en toi, mon frère, et il me faut renoncer à cette suprême espérance.

— Quelle espérance ?

— J’avais cru qu’en implorant tes conseils et en t’exposant ma cruelle situation, tu consentirais, toi, si bon, et qui déjà m’as donné tant de preuves d’attachement, tu consentirais, dis-je, à me…

— À te cautionner ! Tel était donc le conseil que tu attendais de moi ?

— Je n’osais, je ne savais comment te demander ce nouveau service.

— Armande, écoute-moi, reprit d’un ton ferme et grave M. Dumirail après un moment de recueillement. Je t’ai déjà prêté, à diverses reprises, environ vingt mille francs. Ce n’est point un reproche que je t’adresse, je devrais plutôt me l’adresser à moi-même, car je savais parfaitement que ces sommes iraient s’engloutir dans le gouffre de tes folles prodigalités ; mais je ne retomberai plus dans une pareille faute, et, à cette heure, je te déclare ceci : Oui, si ton infortune était imméritée, je regarderais comme un devoir sacré de partager avec toi, ma sœur, jusqu’au dernier morceau de pain qui me resterait ; mais, quant à encourager tes incurables habitudes de désordre en te procurant de nouveau le moyen de les satisfaire, non, non, jamais !

À ces derniers mots, prononcés par M. Dumirail avec l’accent