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Je l’aime tant, mon beau Maurice, cette âme d’ange, ce cœur d’or, ce frère chéri !

Et, entraînée par une force plus puissante que sa volonté, Jeane ajouta :

— N’est-ce pas, cher maître, que Maurice est aussi beau que son cousin Albert ?


XIX


Ces mots de Jeane : « N’est-ce pas que Maurice est aussi beau que son cousin Albert ? » ces mots de Jeane, très-insignifiants en apparence, et ingénument adressés à Charles Delmare, auraient, dans les circonstances présentes, été pour lui une révélation complète, si, durant l’entretien, il n’eût déjà commencé de lire dans l’âme de sa fille. Cependant cette question, nous le répétons, très-insignifiante en apparence, devenait en ce moment à ses yeux d’une telle gravité, qu’il en fut atterré.

Évidemment, malgré la sincérité de son amour pour Maurice, malgré son ferme dessein de l’épouser, malgré sa certitude de trouver le bonheur dans ce mariage, enfin malgré la sincérité de sa révolte contre la persistance des sensations mauvaises éveillées en elle par San-Privato, Jeane ne pouvait s’empêcher de le comparer intérieurement à son fiancé, ainsi que le prouvait la question adressée à Charles Delmare. Or cette question, en pareille circonstance, le devait, à bon droit, profondément alarmer ; aussi, afin de conjurer ce nouveau péril, tantôt il songeait à employer contre San-Privato l’arme du ridicule, n’ignorant pas cependant que, si cette arme s’émoussait contre celui qu’elle frappait, il n’en devenait que plus à craindre. Et d’ailleurs la personne de San-Privato semblait, par son charme, défier les atteintes du ridicule ; ne valait-il pas mieux, au lieu de nier l’évidence, la reconnaître, l’affirmer ? Mais cette affirmation, appuyée de l’autorité de la parole de Charles Delmare, en qui Jeane avait une confiance extrême, offrait d’autres dangers ; il se résolut donc à subordonner sa ré-