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trop diverses, pour être si vite, si absolument oubliées ou dominées.

Un invincible pressentiment disait à Charles Delmare que le calme régnait seulement à la surface de l’âme de sa fille, non qu’elle dissimulât ses pensées ; car ce calme, elle devait en ce moment l’éprouver réellement, surtout en comparant son trouble, sa nerveuse agitation de la veille à la sécurité qu’elle puisait dans la certitude d’être bientôt la femme de Maurice.

— Mais, pensait Charles Delmare, un lac aussi redevient calme et limpide après l’orage ; cependant il suffit d’un nuage, d’un souffle de vent pour obscurcir l’azur de ses ondes et les agiter, les troubler de nouveau dans leurs dernières profondeurs.

Delmare, absorbé par ces pensées, de même que Jeane l’était par le souvenir de sa mère, garda, ainsi que la jeune fille, un silence de quelques instants ; et, dans leur profonde préoccupation, ni l’un ni l’autre ne remarquèrent un bruit provenant du dehors de la tonnelle de charmille, dont le feuillage épais et touffu formait un abri impénétrable aux regards. Ce bruit, presque imperceptible d’ailleurs, et causé par le léger craquement de quelques grains de sable sous un pied qui effleurait le sol avec une extrême précaution, s’était déjà fait entendre, sans être davantage remarqué de Jeane et de Charles Delmare, alors que celui-ci, cédant à un entraînement involontaire, avait baisé sa fille au front en l’appelant son enfant bien-aimée avec un accent qui ne pouvait sortir que des entrailles paternelles.

Mais, nous le répétons, Charles Delmare et sa fille étaient alors trop émus pour remarquer ce bruit, d’ailleurs presque insensible.


XVIII


La silencieuse préoccupation de Jeane et de Charles Delmare dura quelques secondes à peine ; celui-ci sentit bientôt la dangereuse imprudence de son entraînement paternel ; quelqu’un pouvait d’un moment à l’autre entrer dans la tonnelle et s’étonner