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relèvent à mes propres yeux, je sens qu’au lieu de rougir de cet amour, je dois m’en glorifier… Ma bienfaitrice a raison… Tu as raison ; pourquoi donc aurais-je honte ? N’est-il donc pas saint et vrai, mon amour ? Être toujours dans ta vie, t’aimer, te le dire, te le prouver par une affection de tous les instants, qu’ai-je espéré de plus ? et pourtant la honte, la crainte, jointes au vertige que donne le malheur arrivé à son comble, m’ont poussé jusqu’au suicide ! C’est qu’aussi, vois-tu ? mon ami, il faut pardonner quelque chose aux mortelles défiances d’une pauvre créature vouée au ridicule depuis son enfance… Et puis, enfin… ce secret… devait mourir avec moi, à moins qu’un hasard impossible à prévoir ne te le révélât ;… alors, dans ce cas, tu as raison, sûre de moi-même, sûre de toi… je n’aurais rien dû redouter ; mais il faut m’être indulgent : la méfiance, la cruelle méfiance de soi… fait malheureusement douter des autres… Oublions tout cela… Tiens, Agricol, mon généreux frère, je te dirai ce que tu me disais tout à l’heure :… regarde-moi bien, jamais non plus, tu le sais, mon visage n’a menti. Eh bien, regarde… vois si mes yeux fuient les tiens ;… vois, si de ma vie, j’ai eu l’air aussi heureux… et pourtant tout à l’heure j’allais mourir.