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madame de Saint-Dizier, fort étonnée de ce goût subit de Rodin.

Celui-ci prit un flacon au hasard, et il se versa un verre de vin de Madère qu’il but d’un trait. Depuis quelques moments, il s’était senti plusieurs fois frissonner d’une façon étrange. À ce frisson avait succédé une sorte de faiblesse ; il espéra que le vin le ranimerait.

Après avoir essuyé ses lèvres du revers de sa main crasseuse, il revint auprès de la table, et s’adressant au père d’Aigrigny :

— Qu’est-ce que vous me disiez à propos de M. Hardy ?

— Qu’étant frappé dans sa fortune, il n’en serait que plus âpre à la curée de cet immense héritage, répéta le père d’Aigrigny, intérieurement outré du ton impérieux de son supérieur.

— M. Hardy penser à l’argent ? dit Rodin en haussant les épaules, est-ce qu’il pense, seulement ? Tout est brisé en lui. Indifférent aux choses de la vie, il est plongé dans une stupeur dont il ne sort que pour fondre en larmes ; alors il parle avec une bonté machinale à ceux qui l’entourent des soins les plus empressés (je l’ai mis entre bonnes mains). Il commence cependant à se montrer sensible à la tendre commisération qu’on lui témoigne sans relâche…