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ne m’ont plus été indifférents… Les servir, c’était vous servir encore.

— Mais, monsieur… en admettant que vous me jugiez digne des louanges beaucoup trop flatteuses que vous m’adressez… comment avez-vous pu juger de mon cœur, de mon esprit, de… mon caractère ?

— Je vais vous le dire, ma chère demoiselle ; mais auparavant, je dois vous faire encore un aveu dont j’ai grand’honte… Lors même que vous ne seriez pas si merveilleusement douée, ce que vous avez souffert depuis votre entrée dans cette maison devrait suffire, n’est-ce pas, pour vous mériter l’intérêt de tout homme de cœur ?

— Je le crois, monsieur.

— Je pourrais donc expliquer ainsi mon intérêt pour vous. Eh bien ! pourtant… je l’avoue, cela ne m’aurait pas suffi ; vous auriez été simplement mademoiselle de Cardoville, très-riche, très-noble et très-belle jeune fille, que votre malheur m’eût fort apitoyé sans doute ; mais je me serais dit : « Cette pauvre demoiselle est très à plaindre, soit ; mais moi, pauvre homme, qu’y puis-je ? Mon unique ressource est ma place de secrétaire de l’abbé d’Aigrigny, et c’est lui qu’il me faut d’abord attaquer ! il est tout-puissant, et je ne suis rien ; lutter contre lui, c’est me perdre sans espoir de sauver cette infortunée. »