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manières ordinairement hautaines du père d’Aigrigny changèrent à l’instant ; quoiqu’il lui en coûtât beaucoup, il lui dit avec une hésitation remplie de déférence :

— Vous avez sans doute pouvoir de me commander… à moi… qui vous ai jusqu’ici commandé ?

Rodin, sans répondre, tira de son portefeuille gras et éraillé un pli timbré des deux côtés, où étaient écrites quelques lignes en latin.

Après avoir lu, le père d’Aigrigny approcha respectueusement, religieusement ce papier de ses lèvres ; puis il le rendit à Rodin, en s’inclinant profondément devant lui.

Lorsque le père d’Aigrigny releva la tête, il était pourpre de dépit et de honte ; malgré son habitude d’obéissance passive et d’immuable respect pour les volontés de l’ordre, il éprouvait un amer, un violent courroux de se voir si brusquement dépossédé… Ce n’était pas tout encore… Quoique depuis très-longtemps toute relation de galanterie eût cessé entre lui et madame de Saint-Dizier, celle-ci n’en était pas moins pour lui une femme… et éprouver cet humiliant échec devant une femme, lui était doublement cruel, car, malgré son entrée dans l’ordre, il n’avait pas complètement dépouillé l’homme du monde…