Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 3-4.djvu/619

Cette page a été validée par deux contributeurs.

long gémissement et cacha sa figure dans ses mains.

— Ah !… je vous entends, reprit le vieillard d’une voix altérée, un père peut être distrait par de graves préoccupations, mais, hélas ! le cœur d’une mère est toujours en éveil.

Et jetant sa plume sur la table, Samuel appuya son front sur ses mains avec accablement.

Bethsabée reprit bientôt, comme si elle se fût douloureusement complu dans ses cruels souvenirs :

— Oui… ce jour est le dernier où notre fils, notre Abel, nous a écrit d’Allemagne en nous annonçant qu’il venait d’employer, selon vos ordres, les fonds qu’il avait emportés d’ici… et qu’il allait se rendre en Pologne pour une autre opération…

— Et en Pologne… il a trouvé la mort d’un martyr, reprit Samuel. Sans motif, sans preuve, car rien n’était plus faux, on l’a injustement accusé de venir organiser la contrebande… et le gouvernement russe, le traitant comme on traite nos frères dans ces pays de cruelle tyrannie, l’a fait condamner à l’affreux supplice du knout… sans vouloir le voir ni l’entendre… À quoi bon… entendre un juif ?… Qu’est-ce qu’un juif ? une créature encore bien au-dessous d’un serf… Ne leur reproche-t-on pas, dans ce pays,