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du monde, homme de grand esprit, homme d’Église des plus remarquables par son éloquence, et surtout homme de domination et d’autorité, le marquis d’Aigrigny éprouvait un malaise involontaire, une gêne inconcevable, presque pénible… en présence d’Adrienne de Cardoville ; lui toujours si maître de soi, lui habitué à exercer une influence toute-puissante, lui qui avait souvent, au nom de son ordre, traité au moins d’égal à égal avec des têtes couronnées, se sentait embarrassé, au-dessous de lui-même, en présence de cette jeune fille, aussi remarquable par sa franchise que par son esprit et sa mordante ironie… Or, comme généralement les hommes habitués à imposer beaucoup aux autres sont très-près de haïr les personnes qui, loin de subir leur influence, les embarrassent et les raillent, ce n’était pas précisément de l’affection que le marquis portait à la nièce de la princesse de Saint-Dizier.

Depuis longtemps même et contre son ordinaire, il n’essayait plus sur Adrienne cette séduction, cette fascination de la parole, auxquelles il devait habituellement un charme presque irrésistible ; il se montrait avec elle sec, tranchant, sérieux, et se réfugiait dans une sphère glacée de dignité hautaine et de rigidité austère qui