Page:Sue - Le Juif errant - Tomes 3-4.djvu/369

Cette page a été validée par deux contributeurs.

de bonne conduite) ; un jour donc le père Arsène est mis à la porte, parce que ses forces diminuaient trop. C’était pour lui le coup de la mort ; il avait une femme infirme, et à son âge, faible comme il était, il ne pouvait se placer ailleurs… Quand le chef d’atelier lui apprend son renvoi, le pauvre bonhomme ne pouvait pas le croire ; il se met à pleurer de désespoir. En ce moment, M. Tripeaud passe… le père Arsène le supplie à mains jointes de le garder à moitié prix. « Ah çà ! lui dit M. Tripeaud en levant les épaules, est-ce que tu crois que je vais faire de ma fabrique une maison d’invalides ? Tu ne peux plus travailler, va-t’en. — Mais j’ai travaillé pendant quarante ans de ma vie, qu’est-ce que vous voulez que je devienne ? mon Dieu ! disait le pauvre père Arsène. — Est-ce que ça me regarde, moi ? » lui répond M. Tripeaud. Et, s’adressant à son commis : « Faites le décompte de sa semaine et qu’il file. » Le père Arsène a filé ; oui… il a filé… mais, le soir, lui et sa vieille femme se sont asphyxiés. Or, voyez-vous, j’étais gamin ; mais l’histoire du père Arsène m’a appris une chose, c’est qu’on avait beau se crever de travail, ça ne profitait jamais qu’aux bourgeois, qu’ils ne vous en savaient seulement pas gré, et qu’on n’avait en perspective pour ses vieux jours que le coin d’une borne pour y