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— Pauvreté n’est pas vice, reprit Dagobert. Aussi je vous dirai franchement que je n’ai pas le moyen de vous offrir à boire à mon tour : nous avons encore une longue route à faire, et je ne dois pas faire d’inutile dépense.

Le soldat dit ces mots avec une dignité si simple, mais si ferme, que les Allemands n’osèrent pas renouveler leur offre, comprenant qu’un homme du caractère de Dagobert ne pouvait l’accepter sans humiliation.

— Allons, tant pis, dit le gros homme. J’aurais bien aimé à trinquer avec vous. Bonsoir, mon brave soldat !… bonsoir… Il se fait tard, l’hôtelier du Faucon blanc va nous mettre à la porte.

— Bonsoir, messieurs, dit Dagobert en se dirigeant vers l’écurie pour donner à son cheval la seconde moitié de sa provende.

Morok s’approcha et lui dit d’une voix de plus en plus humble :

— J’ai avoué mes torts, je vous ai demandé excuse et pardon… Vous ne m’avez rien répondu… m’en voudriez-vous encore ?

— Si je te retrouve jamais… lorsque mes enfants n’auront plus besoin de moi, dit le vétéran d’une voix sourde et contenue, je te dirai deux mots, et ils ne seront pas longs.

Puis il tourna brusquement le dos au