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mobile, les mains jointes sur son long bâton, et paraissant en proie à une émotion pénible et recueillie…

Les orphelines se trouvaient alors au pied d’un tertre peu élevé, dont le faîte disparaissait sous le feuillage épais d’un chêne immense planté à mi-côte de ce petit escarpement.

Rose, voyant Dagobert toujours immobile et pensif, se pencha sur sa selle, et appuyant sa petite main blanche sur l’épaule du soldat qui lui tournait le dos, elle lui dit doucement :

— Qu’as-tu donc, Dagobert ?

Le vétéran se retourna ; au grand étonnement des deux sœurs, elles virent une grosse larme qui, après avoir tracé son humide sillon sur sa joue tannée, se perdait dans son épaisse moustache.

— Tu pleures… toi ! s’écrièrent Rose et Blanche profondément émues. Nous t’en supplions… dis-nous ce que tu as…

Après un moment d’hésitation, le soldat passa sur ses yeux sa main calleuse, et dit aux orphelines d’une voix émue, en leur montrant le chêne centenaire auprès duquel elles se trouvaient :

— Je vais vous attrister, mes pauvres enfants… mais pourtant c’est comme sacré… ce que je vais vous dire… Eh bien ! il y a dix-huit ans… la veille de la grande bataille de Leipzig,