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dans sa joie, il embrassait son second, il embrassait les matelots, il embrassait le capitaine espagnol, il embrassait tout le monde, tout, jusqu’aux cadavres sanglants de Carlos et d’Anita.

Deux heures après, une embarcation conduisait à bord de L’Épervier les cinq dernières tonnes d’argent, reste des dépouilles du trois-mâts marchand, où Kernok avait laissé dix hommes de garnison, l’équipage espagnol garrotté sur le pont, et le capitaine attaché au grand mât.

« Enfants, dit Kernok, je vous donne ce soir, comme on dit, noces et festin, et puis une surprise, si vous êtes sages.

— Mordieu ! sacrebleu ! capitaine, nous serons sages, sages comme des vierges», répondit maître Zéli en faisant l’agréable.

CHAPITRE IX
Orgie

Hic chorus ingens
… Colit orgia.
Avienus

« Du vin, sacrebleu ! du vin ! » Les bouteilles se choquent, les flacons se brisent, les jurements et les chants éclatent de toutes parts.

C’est tantôt le bruit sourd que fait un pirate aviné en tombant sur le pont, tantôt la voix chevrotante de ceux qui tiennent encore leur verre à la main et de l’autre se cramponnent à la table.

« Du vin ici, mousse, du vin, ou. je t’assomme ! » Et il y en a qui luttent entre eux pied contre pied, front contre front. Ils s’étreignent, ils s’enlacent :

l’un glisse, tombe ; un os crie et se rompt, et les imprécations remplacent le rire.

Il y en a qui sont couchés saignants, le crâne ouvert, au pied de gais compagnons qui détonnent une délirante chanson bachique.