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entrant.

Bientôt une sueur froide mouilla son front.

Machinalement il saisit son poignard, et le tira du fourreau…

Comme ces gens qui, à moitié éveillés, croient sortir d’un songe pénible en faisant quelque mouvement violent :

« Que l’enfer étouffe Mélie ! s’écria Kernok, ses sots conseils et moi aussi, moi assez buse pour les suivre ! Me laisserai-je intimider par des mômeries bonnes à effrayer des femmes et des enfants ? Non, sacrebleu ! il ne sera pas dit que Kernok… Holà ! fiancée du démon, parle vite ; il faut que je parte.

M’entends-tu ? » Et il la secoua fortement.

Yvonne ne répondait pas ; son corps suivait les impulsions que lui donnait Kernok. On ne sentait pas même la résistance que fait éprouver un être animé. On eût dit d’une morte.

Le cœur du pirate battait avec violence. « Parleras-tu ? » murmura-t-il ; et il releva violemment la tête d’Yvonne, qui était baissée, appuyée sur sa poitrine.

Elle resta relevée.

Mais son œil était fixe et terne.

Les cheveux de Kernok lui dressaient sur la tête ; ses deux mains en avant, le cou tendu, comme fasciné par ce regard pâle et morne, il écoutait, respirant à peine, dominé par une puissance au-dessus de ses forces.

« Kernok, dit enfin la sorcière, d’une voix faible et saccadée, jette, jette ce poignard. Et elle montrait le poignard qui tremblait dans la main de Kernok.

Jette-le, te dis-je, il y a du sang ; du sang d’elle et de lui. »

Et la vieille sourit d’une manière affreuse ; puis, mettant le doigt sur son col : « Là… tu l’as frappée… et pourtant elle vit encore. Mais ce n’est pas tout… Et le capitaine du négrier ? … » Le poignard tomba aux pieds de Kernok ; il passa la main sur son front brûlant, et serra si violemment ses deux tempes, que la trace de ses ongles