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et c’est dommage, car c’était un brave. » Ici Kernok ajouta une épithète que nous nous abstenons de répéter, mais qui termina d’une manière pittoresque l’oraison funèbre du défunt.

Oh ! Kernok était laconique !

Puis s’adressant au pilote : « Le commandement du navire m’appartient comme second du bord ; ainsi tu vas changer de route. Au lieu de gouverner au sud-est, tu mettras le cap au nord-ouest, car nous allons virer de bord et gagner Nantes ou Saint-Malo. » Le fait est que Kernok avait en vain tâché de dégoûter le défunt capitaine du trafic des nègres, non par philanthropie, non ! mais par un motif bien plus puissant aux yeux d’un homme raisonnable.

« Capitaine, lui disait-il sans cesse, vous faites des avances qui vous rapportent tout au plus trois cents pour cent ; à votre place, moi, maître, je gagnerais autant, et même davantage, sans débourser un sou. Votre brick marche comme une dorade ; armez-le en course, je réponds de l’équipage ; laissez-moi faire, et à chaque prise vous entendrez la chanson du corsaire. » Mais l’éloquence de Kernok n’avait jamais ébranlé la volonté du capitaine, car il savait parfaitement que ceux qui embrassaient cette noble profession finissaient tôt ou tard par se balancer au bout d’une vergue ; aussi l’inexorable capitaine était-il tombé à la mer par accident.

À peine Kernok se vit-il maître du navire qu’il retourna à Nantes pour recruter un équipage convenable, armer son bâtiment, et mettre à exécution son projet favori.

Et voyez s’il n’y a pas une Providence : à peine arrivé en France, il apprend que l’Angleterre nous a déclaré la guerre ; il obtient une lettre de marque, sort, donné la chasse à un trois-mâts marchand, et rentre avec sa prise à Saint-Pol-de-Léon.

Que dirais-je de plus ? Le bonheur favorisa toujours Kernok ; car le ciel est juste : il fit mainte prise aux Anglais. L’argent qu’il en retirait s’écoulait rapidement dans les tavernes de Saint-Pol ; et c’est au moment de se remettre en mer pour battre monnaie, comme il disait dans son naïf langage, que nous le voyons arriver au sein de la respectable famille de l’écorcheur.

« Mais, sacrebleu ! ouvrez donc, répéta-t-il en secouant vigoureusement la porte. Vous restez tapis comme des goélands dans le creux d’un rocher. » On ouvrit.