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core interrogé les nœuds sacrés de Wannakoë, ils annonçaient toujours de grands malheurs si les visages pâles ne mouraient pas au coucher du soleil… Pourtant, par trois fois la branche de tulipier auquel le serpent s’est enroulé a été brisée. Je ne puis interroger Mama-Jumboë sur ce mystère que lorsque la lune brillera… à l’heure de minuit. Il faut donc que le sacrifice soit retardé jusqu’à demain… Le signe du tulipier est sans doute un avertissement que le Grand-Esprit m’envoie pour m’annoncer que ses oracles ont été mal interprétés.

En disant ces derniers mots, Baboün-Knify chercha sa fille des yeux, et la vit au premier rang des spectateurs.

Elle tenait son ongle empoisonné près de ses lèvres.

L’Ourow-Kourow regarda la magicienne avec un sombre étonnement, et lui répondit :

— Les ordres de Mama-Jumboë ne se contredisent pas… Il a menacé de malheurs affreux si les visages pâles ne mouraient pas au coucher du soleil… Ils doivent mourir…

Baboün-Knify jeta un regard désespéré sur sa fille, et reprit :

— Souvent la vue la plus perçante s’obscurcit… le bras le plus fort faiblit… En interrogeant tantôt les volontés du Grand-Esprit… en lisant dans les signes mystérieux où, seule, je puis lire, je me suis sans doute trompée… La seconde épreuve me le prouve… Il faut que l’Ourow-Kourow suspende le sacrifice jusqu’au moment où j’aurai pu invoquer Yawahon, au milieu du silence de la nuit.


Zam-Zam.

— Et si ma sœur ne s’est pas trompée ! s’écria le chef indien avec une impatience farouche, si Mama-Jumboë voulait que le sacrifice lui fût offert le soir, les malheurs dont il nous menace par ta bouche désoleront notre tribu… Femme… femme… prends garde.

— Baboün-Knify n’a rien à craindre, dit fermement l’Indienne. Elle a toujours été écoutée des sages et des chefs guerriers… C’est à l’Ourow-Kourow de tout redouter de la colère de Mama-Jumboë s’il méprise ses avertissements.

— Le soleil baisse ! le soleil baisse ! s’écria le Piannakotaw avec une anxiété terrible… Mais, surmontant bientôt son hésitation, il dit à la sorcière : Le sang des visages pâles ne peut que plaire à Mama-Jumboë… J’écouterai sa première parole.

Et le Piannakotaw siffla d’une manière particulière.

À ce signal bien connu, des hurlements sauvages éclatèrent de toutes parts ; les bourreaux avivèrent le feu, prirent les couteaux à scalper ; les musiciens firent retentir les apoutas ; les rangs des guerriers s’ouvrirent, et les sacrificateurs amenèrent Hercule et Pipper.

On allait les attacher aux poteaux, lorsqu’un Indien, traversant la foule, arriva près de l’Ourow-Kourow et lui dit :

— Tes guerriers amènent prisonnière une femme des visages pâles.


L’épreuve du serpent.

L’étonnement, l’espèce de rumeur que causa cette nouvelle furent tels, que le supplice demeura suspendu.

Le soleil disparut de l’horizon…

Le soleil est couché, dit la magicienne d’un ton solennel à l’Ourow-Kourow. Tu le vois, malgré ta volonté, les visages pâles n’ont pas été mis à mort… Avant le coucher du soleil, l’avertissement que Mama-Jumboë m’envoyait par la seconde épreuve du tulipier était donc tel que je l’avais interprété… puisque le Grand-Esprit a voulu que cette fois encore les Européens échappassent au supplice.

À ce moment, on vit Adoë amenée par trois individus.


CHAPITRE XXX.

La prisonnière.


Les Indiens, suivant les ordres de l’Ourow-Kourow, avaient conduit Adoë à l’habitation d’Oultok le Borgne. Depuis deux jours, ce planteur avait disparu de l’anse du Paliest avec ses deux mulâtres, Tarpoën et Siliba.