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venances et de respects, je lui donne les conseils les plus délicats et les plus généreux ; si je ne prononce pas le mot amour, tout dans mes soins tendres et empressés révèle ce sentiment.

Elle y reste insensible, et m’offre son amitié.

Je retrouve Catherine à Paris. Malgré mon dévouement aveugle aux douloureux caprices d’Irène, malgré les preuves sans nombre de la passion la plus noble, la plus profonde, un jour, sous un prétexte frivole, sans hésitation, sans regret, sans motif, Catherine rompt brutalement avec moi.

Plus tard elle me dit, il est vrai, que la jalousie seule a dicté sa conduite…

Elle dit cela ; mais moi je me souviens de la sécheresse de son accent, de la dureté de son regard… qui me firent tant de mal.

Elle dissimulait sans doute. Elle sait donc feindre ; elle est donc fausse… je ne le croyais pas.

La mystérieuse affection dont Irène était le lien est donc brisée… Catherine ne m’aime pas ; elle se montre même amie ingrate. Je ne la vois plus.

Désespéré, je cherche une distraction dans le travail. J’accepte auprès du ministre un emploi en apparence important ; l’opinion publique m’attribue une part exagérée dans les affaires d’État. De ce moment, madame de Fersen, jusqu’alors si inflexible pour moi, perd peu à peu de sa froideur lorsqu’elle me rencontre dans le monde ; ses regards, le son de sa voix, démentent le vague insignifiant de sa conversation ; enfin, à un bal du château, elle vient résolument à moi dans le but de renouer nos relations rompues. Je reste froid à ses avances, et le lendemain elle m’écrit…

Ceci, elle me l’a avoué… Ce revirement soudain de son affection, elle l’attribue à sa joie de ma rupture avec madame de V*** et à l’état alarmant où se trouvait de nouveau sa fille…

Je veux la croire… car il serait bien odieux de penser que l’espoir de s’assurer une créature à elle, au sein du cabinet français, eût si brusquement changé son dédain pour moi en tendresse…

Je pars pour le Havre… Irène se meurt ; sa mère m’appelle… j’accours, je la sauve…

Pendant un mois que je passe près de sa fille, Catherine me dit-elle un mot de vive gratitude, un mot de tendresse ?

Non…

Nous allons au Bocage ; elle me témoigne le même attachement, calme et froid…

Mais un jour, une feuille officielle annonce que je vais être appelé à un poste éminent, où aboutissent les secrets d’État…

Le soir de ce jour… cette femme, jusque-là si sévère, si réservée, si chaste, se jette brusquement dans mes bras…

Il est vrai qu’elle s’est dite entraînée par son admiration reconnaissante pour un sacrifice qu’elle ignorait.

S’il faut la croire… qu’est-ce donc que son cœur ?

J’avais sauvé la vie de sa fille… et Catherine était restée insensible…

Je subis une perte d’argent, et Catherine oublie tout pour moi…

Enfin, j’aime mieux croire Catherine plus touchée des sacrifices matériels et presque indifférente au dévouement de l’âme… que de penser qu’elle s’est effrontément donnée au futur confident du ministre des affaires étrangères…

Ces quatre mois passés au Bocage sont radieux… oh ! bien radieux pour moi… dont le bonheur est pur et sans honteux mélange.

Seulement, maintenant, des circonstances qui ne m’avaient pas frappé me frappent…

Au Bocage, Catherine me fait mille questions sur mes travaux auprès de M. de Serigny, interroge minutieusement les impressions ou les souvenirs qu’ils peuvent m’avoir laissés. Et, lorsque, lui avouant franchement toute leur nullité, je préfère lui parler d’amour, elle se dépite, elle me boude ; elle me reproche ma discrétion ou ma légèreté…

Si je veux quitter la carrière stérile que j’ai embrassée par désœuvrement, Catherine emploie toutes les ressources de son esprit, toute son influence, tout son ascendant sur moi… pour me détourner de ce projet de retraite.

Il est vrai que ces questions, que ces instances me furent toujours faites par elle au nom de l’intérêt profond qu’elle prenait à mon sort…

Je le crois… car il serait outragcux de reconnaître, dans sa crainte de me voir abandonner ma carrière, la crainte de perdre le fruit de sa faute si longuement préméditée…

Depuis son retour à Paris, quelle a été sa vie ?… A-t-elle sacrifié à mes instances ses relations habituelles ? Non, elle les a encore augmentées ; son salon est devenu le centre de toutes les intrigues diplomatiques.

Nos longues journées de tendresse sont remplacées par des occupations qui ne sont pas celles d’une femme absolument dominée par l’amour…

Si je lui reproche avec douleur ce triste changement, elle me répond qu’elle doit obéir à la volonté expresse de son mari… volonté qui lui est devenue d’autant plus sacrée que sa faute a été plus condamnable…

Je la crois, cette fois, sans réticence aucune… je la crois très-désireuse de complaire au prince…

Mais… moi aussi j’ai quelques droits sur elle…

J’ai sauvé la vie de sa fille…

Qu’a-t-elle fait pour moi ?

Elle s’est donnée… Oui, elle s’est donnée…

Ou ce sacrifice de son honneur, de ses devoirs, a été à la fois enivrant et terrible… ou il n’a été qu’un infâme, qu’un odieux calcul !…

Si cette preuve d’amour a été pour elle ce qu’elle est toujours pour une femme vertueuse et passionnée, le plus redoutable des sacrifices… pourquoi m’a-t-elle si opiniâtrement refusé la concession de quelques intérêts qui devaient lui sembler nuls en comparaison de la faute irréparable qu’elle avait commise ?

Ces intérêts lui sont donc plus chers que son amour ? son amour leur est donc subordonné ?

Il n’est donc que leur moyen, que leur prétexte ?

Allons, soit, j’ai été le jouet d’une intrigante, mais elle était belle, et je ne suis dupe qu’à moitié.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .


Tel fut le thème monstrueux que je développai avec une infernale puissance de paradoxes…

J’étais si insensé que je crus fermement avoir lutté contre ces doutes affreux ; et j’arrivai à la conviction de ces erreurs avec l’espèce de satisfaction amère de l’homme qui découvre l’indigne piège où il est tombé.

Je frappais en bourreau et je gémissais en victime…

Le souvenir d’Hélène, de Marguerite, de Falmouth… rien ne put me rappeler à la raison…

De l’affirmation de tant d’ignominies à la haine, au mépris qu’elles devaient inspirer, il n’y avait qu’un pas… ma monomanie farouche le franchit bientôt.

À ce point de vue, tout ce qu’il y avait eu de noble et de généreux dans ma conduite me parut du plus honteux ridicule…

J’étais sous le poids de ces impressions lorsqu’on m’apporta cette lettre de Catherine :

« C’est une pauvre suppliante bien triste, bien malheureuse, qui vient vous demander d’être indulgent et bon pour elle ; elle veut se faire pardonner tout ce qu’elle a souffert aujourd’hui ; elle espère être seule ce soir ; elle vous attendra… venez… elle est d’ailleurs bien décidée à ne plus vous donner l’Europe pour rivale. »

Dans ma disposition d’esprit, cette lettre à la fois tendre et suppliante, cette innocente allusion à mes reproches, me sembla si humblement insolente, si froidement injurieuse, que je fus sur le point d’écrire à madame de Fersen que je ne la reverrais jamais.

Mais je changeai d’idée.

Je lui écrivis que je me rendrais chez elle le soir.

J’attendis cette heure avec une affreuse anxiété.

J’avais mon projet.

À dix heures j’allai chez madame de Fersen, je croyais la trouver seule.

Mille pensées confuses se heurtaient dans ma tête. La colère, la haine, l’amour, un remords anticipé du mal que j’allais faire, un vague instinct de l’injustice de mes soupçons, tout me mettait dans un état de fièvre et d’exaspération dont je ne pouvais prévoir les suites.

Contre mon espoir, Catherine avait plusieurs personnes chez elle.

Cette nouvelle preuve de ce que j’appelais sa duplicité me révolta ; un moment je fus sur le point de retourner chez moi et de renoncer ainsi à mes desseins ; mais une force irrésistible me poussa et j’entrai.

La vue du monde et l’empire que j’ai toujours eu sur moi changèrent aussitôt la colère violente qui me transportait en une ironie polie, froide et acérée.

Cette scène m’est encore présente. Catherine, assise près de la cheminée, causait avec un homme de ses amis.

Sans doute mon premier regard fut bien terrible, car madame de Fersen, interdite, pâlit tout à coup.

La conversation continua ; j’y pris part avec le plus grand calme, j’y montrai même quelque supériorité. Je fus fort gai, assez brillant.

Pour les indifférents, il ne se passait là rien d’étrange ; c’était une paisible soirée d’intime causerie, comme mille autres soirées ; mais, entre Catherine et moi, il se passait une scène muette, mystérieuse et fatale.

Notre habitude de nous comprendre à demi-mots, de chercher et de deviner la valeur d’une inflexion de voix, d’un geste, d’un sourire, me servait cette fois à lui faire subir la réaction de mes odieuses pensées.

À mon entrée dans le salon, Catherine était restée stupéfaite.

Pourtant elle tâcha de se remettre et, pour me prouver sans doute qu’elle avait reçu du monde contre son gré, elle remercia fort gracieusement M. de *** d’avoir forcé sa porte pour venir lui apprendre le résultat du scrutin de la séance, qui s’était prolongée fort tard. — Sans cela, ajouta Catherine, j’aurais été privée du plaisir de voir plusieurs de nos amis, qui ont heureusement profité de la brèche que vous avez faite pour envahir ma solitude.

Un regard suppliant qu’elle me jeta accompagna ces paroles.

Tout en continuant de causer avec M. de ***, mon voisin, j’y répondis par un sourire si méprisant, que Catherine fut sur le point de se trahir.

Que dirai-je ? Toutes les tentatives qu’elle fit indirectement pour cal-