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fautes. Beaucoup de grands amis de l’Humanité ont été misanthropes pour cette raison.

Tolstoï n’est pas indulgent. Un amour ardent de la vérité ne va guère avec l’indulgence : il faut la laisser aux âmes molles, ou à celles qui sont revenues de tout, et de la vérité même. Tolstoï ne s’abandonne de bon gré qu’à la terrible innocence de la nature : il ne discute pas avec elle ; de là, que les plus simples créatures l’ont conquis et retenu : les enfants, les hommes du peuple, les paysans, les bêtes, les arbres, et les femmes pures. Sa mère est la seule personne de sa famille, avec une vieille servante, qu’il n’ait jugée que du fond de son amour. Son esprit démonte les ressorts de tous les autres êtres, de ceux-là même qu’il aime le plus : d’un frère, d’une femme, de sa sœur, de ses enfants. Il ne les flatte point parce qu’ils lui tiennent ; mais plutôt il les dessert, parce qu’il les connaît mieux. Sa sincérité brutale le pousse à montrer cette cruelle connaissance, qu’il pourrait cacher. Il est bien difficile, ayant une vue perçante des hommes, et un cœur assez entier pour ne pas les ménager, de ne pas se faire, à la longue, une espèce de mérite d’être