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comme la vie même, il n’exprime pas le jugement, qu’elle implique toutefois. Ainsi, l’on peut différer de sentiment, en présence de ces images, comme devant la créature vivante. Taine a dit d’Innocent X, tel qu’il est à Rome, au palais Doria, toute sorte de faussetés, selon mon goût. On ne s’accorde qu’à convenir d’un talent miraculeux ; Vélasquez n’a pas laissé là un portrait de ce Pape, — mais le pape Panfili en personne.

Tolstoï traite ses personnages avec la même liberté dominatrice : il n’est pas croyable qu’il en fasse autant de soi-même. Le génie de Montaigne, qui décompose et qui analyse sans cesse les éléments d’une vie, est tout opposé, dirait-on, au génie de Shakespeare, qui ne se lasse pas de créer des êtres vivants, par un prodige de force et de sensibilité, où la raison jugeante semble ne pas avoir de part. Le fait est que Montaigne était le philosophe de Shakespeare : il le lisait assidûment. Et le fait est encore qu’il n’y a point de portrait de Shakespeare par lui-même. — Tolstoï, qui n’intervient jamais dans son récit, pour le compte de ses personnages ; qui ne loue ni ne condamne ; qui laisse parler uniquement la vie ; — ne paraî-