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Cette force du moi, il faut une main puissante pour la brider : Comme Pégase qui emporte le char du soleil, par où le monde reçoit la lumière et la vie : Si c’est Phaëton qui tient les rênes, tout se brise ; il sème l’incendie et la mort. Si c’est le dieu, le char parcourt la belle carrière : il l’a en main. Le dieu ne pense plus, un seul instant, que Pégase ne lui ait été donné que pour lui-même.

Guidant le soc, derrière le bœuf patiemment courbé sous le joug de la vie, Tolstoï s’avance le long d’une semblable route. Ni la mort, ni le désespoir de la vie ne l’occupent plus : il n’a pas le temps. Il a des hommes, qui faire vivre ; du pain à porter aux peuples en famine ; des enfants à nourrir ; des sourds à qui rendre le son de la vérité, et tous ces aveugles à qui la faire entrevoir. Ses seuls doutes sont pour lui-même, et ses frissons. Voilà son égoïsme. Il a des disciples. Il est si resplendissant de foi, qu’il ne se sépare plus d’elle ; et sans doute ses fidèles ne la séparent pas de lui. Il ne parle plus pour ce qu’il dit : mais pour ceux qui l’écoutent. Hommes comme lui, il les fait plus hommes. Il est humain, presque seul dans cette espèce, dont l’humanité