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il voit combien il aurait pu faire de mal, s’il n’avait eu le bien. C’est le secret superbe de l’humilité des âmes orgueilleuses.

La religion de Tolstoï tue le moi : elle l’a d’abord vivifié. Est-ce donc qu’il faut le tuer ? Un si terrible meurtre est-il tout à fait nécessaire ? — Plus Tolstoï le dit, plus je vois combien le sien est grand. Les petits égoïstes ne pensent jamais à tuer le moi : tous les hommes sont de petits égoïstes. Or, c’est eux qui doivent tuer le moi, et s’instruire à perpétrer ce suave meurtre. Quant à Tolstoï, il est un maître en cet enseignement : ne vous inquiétez pas s’il le suit, pourvu qu’il vous apprenne à le suivre. Si Tolstoï et ceux de sa sorte accomplissaient ce meurtre du moi, ce serait briser le nerf du monde.

Les Saints conduisent l’homme. Aussi, ils s’en méfient et le méprisent. Il ne leur reste qu’à l’aimer. Et infiniment mieux qu’il ne s’aime. Ils le mènent donc à tuer le moi. En effet, les petits n’ont rien de mieux à faire. Ils ne peuvent diriger ce moi, sous le fouet de la perfection, vers le bien et le plein sacrifice. Qu’ils le tuent donc. Qu’ils aient peur de le nourrir.