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loin de ne faire qu’un à ses yeux. Cette pitié, dont on se fait un peu partout un dogme, et qui en est un même pour la sensibilité des sceptiques, ne lui plaît guère, si elle ne le dégoûte. Tolstoï est réaliste en tout : il lui faut des réalités. La vraie pitié, à son sens, consiste en une vie pure et sans crime.

Il serait donc d’une ironie implacable, s’il n’avait toujours la volonté du bien. Voilà par où son humour, aussi forte que celle de Swift, est souvent innocente comme celle de Dickens. Mais Swift et Dickens, à eux deux, ne font pas encore Tolstoï : car ce démon de Swift et cette douce femme de Dickens, ne sauraient être unis dans le même homme, que par une vertu supérieure à tous les deux, — qui est le génie de cet homme. L’humour est l’alcool robuste, que distille un esprit assez fort pour se suffire, et qui se rit d’un objet, sans d’abord penser à en faire rire. L’humour est un effet âpre et violent d’une raison, qui raisonne directement, sans se soucier des raisons d’autrui. Elle va droit devant soi, et ne s’arrange ni pour qu’on l’excuse, ni pour qu’on lui prête plus d’attention qu’à ce qu’elle raille. L’humour ne moque