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entre les hommes, il n’aurait pas eu de quoi combattre les passions comme il le fait. S’il n’était point né riche en force, voire en violence, il n’eût pas été ce soldat héroïque du vrai qu’on le voit être. Les saints qui répandent la sainteté sont ces mêmes violents que leur sainteté réprouve. Et ceux qui les suivent sont ces tièdes et ces indifférents, qu’ils détestent quand ils n’en sont pas suivis. La même force, qui s’égare et fait le mal, anime le juste, le pousse dans la voie droite, et lui fait faire le bien.

Pour ne parler que de la guerre, si Tolstoï n’avait pas été capable de s’y livrer, comme à la chasse, avec toute l’ardeur de l’homme prêt à sacrifier sa vie, il ne l’eût pas été d’en avoir cette horreur profonde, où il montre un égal courage. Le lieutenant de Sébastopol est la caution du vieillard pacifique, avide de souffrir persécution pour la justice. C’est le jeune homme, délicat sur l’honneur et l’amour-propre, jusqu’à la sottise, qui peut seul humilier l’orgueil, comme Tolstoï a fini par faire : l’ardeur qu’il mit à ressentir les offenses, il l’a mise depuis à les pardonner. Il faut avoir voulu tuer un homme, sur un regard inso-