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cette nature s’est dégagé de tout alliage. Quel témoin incorruptible de l’âme, parfois, c’est le visage d’un homme ! La voici, désormais, cette figure inoubliable. Dans sa blouse de paysan, serrée d’une courroie à la ceinture, soit que Tolstoï, coiffé d’une casquette, fauche la moisson, — soit qu’il fasse, tête nue, le geste de prendre la parole, — son attitude et ses traits respirent une grandeur et une simplicité bibliques.

Sa longue barbe, mêlée aux moustaches, ne laisse plus voir de la bouche que des lèvres où la bonté et la conviction se fortifient l’une de l’autre ; ces cheveux entourant les oreilles ; ces sourcils broussailleux, d’où le regard concentré s’élance ; cette pensée ardente et fixe, où veille on ne sait quoi d’inquiétant : c’est la tête d’un prophète hébreux, une indomptable ténacité, une foi qui ne craint rien, l’orgueil de la vérité, le reflet d’une âme illuminée, et qui a vu Dieu dans le buisson.

Il a beaucoup, à sa manière, d’une des figures de Michel-Ange, au plafond de la Sixtine. Et, tel de ses portraits, au regard fixe, presque terrible, quoique sans modèle dans la société des Titans sacrés, conçus par le grand artiste, ne serait pas hors de place entre Ézéchiel et Isaïe.