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paysan, se préfère au seigneur, et se moque du seigneur qui ne se préfère pas au paysan. Quel éloignement de l’apparence du moujik, à être un moujik soi-même : Et, du reste, à quoi sert de l’être ? — Lévine ne touche pas, du premier coup, à ce désenchantement. Plus tard, une foule d’expériences l’ont instruit : il ne doute plus qu’il ne continue à se nuire, s’il sert ses paysans, — et qu’il ne nuise à ses paysans, s’il résout de se servir. Il a vu la peste sociale qui règne en Occident et dans les villes. Il ne voit pas avec moins de clarté quels maux rongent la Russie. Les remèdes qu’on y propose lui paraissent dangereux et ridicules. Il ne se paye pas de panslavisme ou de philanthropie. La famille, qu’il crée à son tour au foyer même où il est né, ne le satisfait pas davantage. La vanité universelle de tous les efforts, de tous les partis, de toutes les conditions possibles de la vie, l’obsède au point de l’empêcher de vivre. Il ne lui reste qu’une vérité certaine : c’est que le moujik, ce grossier paysan, connaît seul le sens de la vie ; et que, parfois, ce misérable paysan, même dans la pauvreté, même dans la vie, même dans la mort, trouve le bonheur.