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longtemps suivi les modèles, comme son temps les lui offrait. Pourtant, la passion qu’il y portait, et le mépris secret dont il ne cessait de se poursuivre, l’en distinguèrent dès lors. Il raconte comment, à vingt ans, il plaçait l’idéal de la vie humaine à être « un homme comme il faut », de la tête aux pieds ; et, quelques tortures que lui aient coûtées ses prétentions à l’élégance, il avoue n’avoir jamais atteint à la perfection de niaiser. Il ne s’y élevait pas au-dessus du médiocre. Il en désespérait. D’amour-propre vain et timide, épris de rêves romantiques, jeune officier à la Byron, comme Pouschkine et Lermontow, il n’était pas loin, à cette époque, de mettre très haut une origine noble, de grands biens, une mine galante, les croix, les cordons, la clef dans le dos et la gloire des cours. Pierre Bésoukhow, dans la Guerre et la Paix, sacrifie encore, jusqu’à la trentième année, à la vanité mondaine. Mais il se guérit bientôt de l’ambition, et de jouer un rôle : il sent à merveille qu’il y a, en lui, un élément — force ou faiblesse — qui s’opposera toujours à son succès dans le monde. Il ne peut pas plus être un employé correct de l’État qu’il n’a pu se pousser à la dignité « d’homme comme il faut ». Bésou-